lundi 29 février 2016

Kundera. Une rencontre. Extrait








Un échange furtif et décisif est rapporté dans son livre «Une rencontre», que Milan Kundera donne en 2009. Extrait.
Un jour, Milan Kundera demande à un ami :

« Est-ce que tu connais "Un survivant de Varsovie” ? - Un 

survivant ? Lequel ? Il ne savait pas de quoi je parlais. 

Pourtant, "Un survivant de Varsovie", oratorio de 

Schoenberg, est le plus grand monument que la musique ait 

dédié à l'Holocauste. Toute l'essence existentielle du drame 

des juifs du XXe siècle y est gardée vivante. Dans toute son 

affreuse grandeur. Dans toute sa beauté affreuse. On se bat 

pour qu'on n'oublie pas des assassins. Et Schoenberg, on l'a 

oublié.»




... " Toute l'essence existentielle du drame 

des juifs du XXe siècle y est gardée vivante "... K.



dimanche 28 février 2016

BRETON. Plutôt la Vie






Plutôt la Vie



Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures
Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides
Que ces pierres blettes
Plutôt ce cœur à cran d'arrêt
Que cette mare aux murmures
Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l'air et dans la terre
Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale
Plutôt la vie
Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires
Ses cicatrices d'évasions
Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe
La vie de la présence rien que de la présence
Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là
Je n'y suis guère hélas
Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir
Plutôt la vie
Plutôt la vie plutôt la vie Enfance vénérable
Le ruban qui part d'un fakir
Ressemble à la glissière du monde
Le soleil a beau n'être qu'une épave
Pour peu que le corps de la femme lui ressemble
Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long
Ou seulement en fermant les yeux sur l'orage adorable qui a nom ta main
Plutôt la vie
Plutôt la vie avec ses salons d'attente
Lorsqu'on sait qu'on ne sera jamais introduit
Plutôt la vie que ces établissements thermaux
Où le service est fait par des colliers
Plutôt la vie défavorable et longue
Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux
Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui
Plutôt la vie
Plutôt la vie comme fond de dédain
A cette tête suffisamment belle
Comme l'antidote de cette perfection qu'elle appelle et qu'elle craint
La vie le fard de Dieu
La vie comme un passeport vierge
Une petite ville comme Pont-à-Mousson
Et comme tout s'est déjà dit
Plutôt la vie

André Breton

Plutôt la vie 
in Clair de terre,1923





ANDRÉ BRETON
ÉCRIVAIN, POÈTE et THÉORICIEN SURRÉALISTE


André Breton, né le 19 février 1896 en Normandie, est un écrivain français, poète et théoricien du surréalisme. Il est surtout connu comme étant le principal fondateur du mouvement surréaliste. Parmi ses écrits se trouve le fameux Manifeste du surréalisme,1924 dans lequel il définit le surréalisme comme étant de l'automatisme psychique pur. Breton meurt en 1966, âgé de 70 ans, et est enterré au cimetière des Batignolles à Paris.


DESNOS. Il était une feuille




Il était une feuille



Il était une feuille avec ses lignes
Ligne de vie
Ligne de chance
Ligne de coeur
Il était une branche au bout de la feuille
Ligne fourchue signe de vie
Signe de chance
Signe de coeur
Il était un arbre au bout de la branche
Un arbre digne de vie
Digne de chance
Digne de coeur
Coeur gravé, percé, transpercé,
Un arbre que nul jamais ne vit.
Il était des racines au bout de l’arbre
Racines dignes de vie
Vigne de chance
Vignes de coeur
Au bout des racines il était la Terre
La Terre tout court
La Terre toute ronde
La Terre toute ronde au travers du ciel
La Terre.



Robert Desnos




...Au bout des racines il était la Terre
La Terre tout court
La Terre toute ronde
La Terre toute ronde au travers du ciel
La Terre.

René Magritte 
L’Arbre, 1959 – Vienne, musée d’Art moderne


« Véritable poussée de la terre vers le ciel, un arbre est une image et une expression de joie. Pour appréhender cette image, nous devons être immobiles, à l’égal de cet arbre. Lorsque nous bougeons, c’est l’arbre qui devient le spectateur. » 
René Magritte


samedi 27 février 2016

DESNOS. Conte de fée





Léonard-Tsuguharu Foujita
Détail tiré des Lutteurs II et représentant Kiki(*) de Montparnasse.



Conte de fées

Il était un grand nombre de fois
Un homme qui aimait une femme
Il était un grand nombre de fois
Une femme qui aimait un homme
Il était un grand nombre de fois
Une femme et un homme
Qui n'aimaient pas celui et
celle qui les aimaient

Il était une fois
Une seule fois peut-être
Une femme et un homme
qui s'aimaient



Robert DESNOS
in 
Destinée arbitraire 
Les Nuits blanches
(1930-32)  







SUPPLEMENT GRATUIT (et pas plus cher!)

(*) Youki, dite Kiki de Montparnasse, était l'épouse de Foujita. Elle partagera également la vie de Robert Desnos. Images exclusives d'un heureux ménage à trois.

Et tout d'abord ce tableau de Manet, qui reste à ce jour très peu connu:




Puis cette photo exclusive de Nuageneuf. On y reconnait bien (de gauche à droite) Desnos, Kiki et Foujita:





ELUARD. Poisson










Poisson

Les poissons, les nageurs, les bateaux
Transforment l'eau.
L'eau est douce et ne bouge
Que pour ce qui la touche.

Le poisson avance
Comme un doigt dans un gant,
Le nageur danse lentement
Et la voile respire.

Mais l’eau douce bouge
Pour ce qui la touche,
Pour le poisson, pour le nageur, pour le bateau
Qu'elle porte
Et qu’elle emporte.




Paul Eluard 
in Les Animaux et leurs hommes
1920 -

Couverture du recueil LES ANIMAUX ET LEURS HOMMES. LES HOMMES ET LEURS ANIMAUX - 1920 -

vendredi 26 février 2016

DESNOS. La Baleine




Une baleine...


La Baleine

Plaignez, plaignez la baleine
Qui nage sans perdre haleine
Et qui nourrit ses petits
De lait froid sans garantie.


Oui mais, petit appétit,
La baleine fait son nid
Dans le fond des océans
Pour ses nourrissons géants.


Au milieu des coquillages,
Elle dort sous les sillages
Des bateaux, des paquebots
Qui naviguent sur les flots.



Robert DESNOS
in Chantefables
1944-1945


                                                                            * * *
SUPPLEMENT GRATUIT (et pas plus cher!)






Une baleine, des baleines...


Pourquoi appelle-t-on l'armature des parapluies et des soutiens-gorge des "baleines" ?



Les ''baleines'' de parapluie et des soutiens-gorge étaient faites, autrefois, de fanons de baleines. 
Ces longues lames de cornes bordées de poils très durs, fixées sur leur mâchoire, servent à filtrer l'eau de mer et permettent aux baleines de se nourrir du plancton et de minuscules crevettes appelées krill.




DESNOS. La Girafe




La girafe, la girouette et l'alouette...




La giraphe La Girafe
 


La girafe et la girouette,
Vent du sud et vent de l’est,
Tendent leur cou vers l’alouette,
Vent du nord et vent de l’ouest.

Toutes deux vivent près du ciel,
Vent du sud et vent de l’est,
À la hauteur des hirondelles,
Vent du nord et vent de l’ouest.

Et l’hirondelle pirouette,
Vent du sud et vent de l’est,
En été sur les girouettes,
Vent du nord et vent de l’ouest.

L’hirondelle, fait, des paraphes,
Vent du sud et vent de l’est,
Tout l’hiver autour des girafes,
Vent du nord et vent de l’ouest.


Robert DESNOS
in Chantefables
1944, 1945




DESNOS. Le lézard






Le lézard   

Lézard des rochers,
Lézard des murailles,
Lézard des semailles,
Lézard des clochers.

Tu tires la langue,
Tu clignes des yeux,
Tu remues la queue,
Tu roules, tu tangues.

Lézard bleu diamant
Violet reine-claude,
Et vert d'émeraude,
Lézard d'agrément!


Robert DESNOS
in Chantefables

jeudi 25 février 2016

ARAGON. La constellation. Extrait

* publié à 7h30. Modifié à 11h30.




Aragon et Triolet



La Constellation

Aucun mot n'est trop grand trop fou quand c'est pour elle
Je lui songe une robe en nuages filés
Et je rendrai jaloux les anges de ses ailes
            De ses bijoux les hirondelles
Sur la terre les fleurs se croiront exilées

Je tresserai mes vers de verre et de verveine
Je tisserai ma rime au métier de la fée
Et trouvère du vent je verserai la vaine
            Avoine verte de mes veines
Pour récolter la strophe et t'offrir ce trophée

Le poème grandit m'entraîne et tourbillonne
Ce Saint-Laurent pressent le Niagara voisin
Les cloches des noyés dans ses eaux carillonnent
Comme un petit d'une lionne
Il m'arrache à la terre aux patients raisins

Voici le ciel pays de la louange énorme
C'est de tes belles mains que neige la clarté
Etoile mon étoile aux doigts de chloroforme
            Comment veux-tu que je m'endorme
Tout me ramène à toi qui m'en semble écarter

Et parlant de tes mains comment se peut-il faire
Que je n'en ai rien dit moi qui les aime tant
Tes mains que tant de fois les miennes réchauffèrent
            Du froid qu'il fait dans notre enfer
Primevères du coeur promesses du printemps

Tes merveilleuses mains à qui d'autres rêvèrent
Téméraires blancheurs oiseaux de paradis
Et que jalousement mes longs baisers révèrent
            Automne été printemps hiver
Tes mains que j'aime tant que je n'en ai rien dit


(...)

Louis Aragon
Cantique à Elsa, 
in Les Yeux d'Elsa, 1942
                                                   

... Je lui songe une robe en nuages filés ...



René MAGRITTE
Le Bouquet tout fait, 1956

* * *


 SUPPLEMENT GRATUIT (et pas plus cher!)

1/

«[...] Louis Aragon, rebelle à l'enfance massacrée, mystificateur en tout genre, agitateur surréaliste, militant communiste, magicien tout terrain: son génie poétique et littéraire le situe parmi les plus grands écrivains français et l'approche de Hugo.»
Jean d'Ormesson
in Un miroir du siècle, 1991

2/
Les Yeux d’Elsa est un recueil de 21 poèmes qui a été publié en 1942. Il rassemble des poèmes parus en revues entre juin 1941 et février 1942.  Aragon a indiqué les avoir publiés « dans l’ordre suivant lequel ils ont été écrits ».

Ce recueil inaugure le long cycle consacré par l'auteur à sa compagne Elsa Triolet, avec qui il formera jusqu'à la mort de celle-ci, en 1970, un couple mythique. Aragon  poursuit inlassablement sa création poétique, à partir de la femme qui lui donne "tous les pouvoirs". Suivront notamment Les yeux et la mémoire (1954), Le Roman inachevé (1956), Elsa (1959), Le Fou d'Elsa (1963), Il ne m'est Paris que d'Elsa (1964).

À la différence de beaucoup, par exemple de René Char qui prend le maquis et ne publiera qu'après la guerre ses Feuillets d'Hypnos, Aragon croit possible de mener le combat avec ses propres armes : la poésie. C'est à n'en pas douter moins risqué.  Donc, dans ce recueil qui se veut "une contribution poétique à la Résistance" il évoque aussi  les malheurs de la guerre (Ach! La guerre! Gross malheur!..) et l'hymne à l'amour serait aussi hymne à la France. Une manière très personnelle de voir les choses!


A la gloire de la femme aimée, Aragon a composé ses plus merveilleux poèmes " Ma place de l'étoile, à moi, est dans mon cœur, et si vous voulez connaître le nom de l'étoile, mes poèmes suffisamment le livrent. " Pétrarque avait chanté Laure, Ronsard Hélène, Lamartine, Elvire, c'est à Elsa qu'Aragon donne ses poèmes qui sont au nombre des plus beaux chants d'amour.