samedi 20 février 2016

Lechim Authex. Je vais inventer Hatebook




Je vais inventer Hatebook. 

Bonjour, je m'appelle Jean-Christophe, veux-tu m’accepter comme ennemi ? J’ai lu attentivement la description que tu fais de toi sur Hatebook : nous n’avons aucun point commun. Tes goûts sont mes dégoûts. Tu aimes Musso et Le Caravage, moi Salinger et Erwin Wurm. Tu passes les fêtes de fin d’année à manger et à danser ; pendant les miennes, je revisite en rêve le delta du Mékong. Tu juges adroite ma façon d’être parfois un peu gauche, me semble gauche ta façon d’être de droite. Tu préfères Buba à Robert Charlebois. Truffaut à Rohmer. Les Rolling Stones à Elvis. Céline à Rostand. Tu vas l’hiver à la montagne et l’été au bord de la mer, alors que moi c’est bien mieux, je ne vais nulle part. Tu aimes mieux le Tibet, à qui on ne doit rien, que la Chine, qui nous a tant donné. Contre toute raison, tu trouves George Clooney plus beau que moi, la cannelle et la citronnelle plus gaies qu’un plat au naturel. 

Après quelques minutes d’attente, la réponse espérée arrive : oui, Jean-Christophe, je t’accepte comme ennemi, car je sens que nous allons être des ennemis viscéraux, profonds, absolus. Des ennemis de longue durée qui penseront souvent l’un à l’autre. Qui ne se laisseront jamais tomber, même pendant les moments faciles. Dès que l’un aura une petite joie, juste un petit bonheur, l’autre essaiera de les lui gâcher. Nous n’aurons aucun répit. Quand je mettrai la photo de ma nouvelle petite amie sur mon profil Hatebook, tu t’empresseras de m’écrire qu’elle est moche. 
Et puis, les conversations de bureau, le matin autour d’un café, ne porteront plus sur les amis mais sur les ennemis qu’on s’est faits la veille sur l’internet. Le mien est mieux que le tien : plus salaud. La mienne est pire que la tienne : plus salope. 


De toute façon, un homme et une femme qui couchent ensemble finissent presque toujours par devenir des ennemis, surtout la femme : pourquoi ne pas commencer par là ? On gagnerait du temps. Les choses qu’il y aurait tout de suite entre eux seraient celles qu’il y a à la fin : la répulsion, le mépris, l’ennui, la haine, le déni, pire encore, l’oubli. Le premier rendez-vous, après de longues diatribes coléreuses sur l’ internet, serait une interminable engueulade au restaurant sur le choix duquel aucune des deux parties n’aurait du reste été d’accord. Selon le tempérament des deux individus haineux, on en viendrait aux mains. Le patron du resto soupirerait : « Encore des gens qui se sont rencontrés sur Hatebook... » Dispute pour régler l’addition, chacun voulant le faire. Hors de question de se laisser inviter par un ennemi. Du coup, on partagerait. Au centime d’euro près. 

Et je ne m’étends pas sur l’utilisation que les hommes politiques pourraient faire de mon nouveau site communautaire, idéal pour mesurer leur taux d’impopularité.

« Qui n’a jamais fait l’amour avec son ennemi n’a jamais fait l’amour ». Je crois que c’est la phrase que j’inscrirai sur le portail du site. Ca deviendra, à n'en pas douter, La devise de Hatebook. De plus, elle n’est pas de moi.


Lechim AUTHEX



1 commentaire:

  1. Authex propose une "méthode" alléchante. Rechercher, désigner, nommer, cultiver ses ennemis, avec une sorte de déférence, en toute franchise, pour vivre en meilleur équilibre avec la réalité telle qu'elle est.Sans faux-semblants. Sans illusions.

    Révolution copernicienne qui enterrerait le paradigme bobo suivant lequel "tout le monde "il" est beau et gentil". Un peu d'air, enfin !
    J.

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