vendredi 11 mars 2016

CHARPENTREAU. Aveux d'un favorisé



 5/20 mars 2016


  « Les poèmes, les mots de Jacques Charpentreau n'en finissent pas d'enchanter » 
(Andrée Chedid).  





Aveux d’un favorisé

     Je suis et j’ai toujours été favorisé.
     J’étais né enfant de favorisés. Ma mère avait pu interrompre ses études toute jeune pour aider son père à la tâche. Mon père, orphelin d’un père déjà favorisé par la Compagnie des chemins de fer qui lui avait offert une place de chauffeur de locomotive à vapeur et à charbon, mon père bénéficiait d’une double journée. Il faisait le ménage dans des bistrots parisiens à cinq heures du matin, avant d’embaucher dans une banque comme garçon de recettes et de pouvoir compter des liasses de billets. On dirait aujourd’hui qu’il avait la double faveur d’être technicien de surface et banquier.
     Enfant favorisé, j’ai eu beaucoup de chance : on m’a offert divers examens et diplômes me permettant d’entrer vraiment au travail à dix-neuf ans, après de petits boulots dès quatorze ans. J’ai pu traverser la guerre et l’occupation allemande à travers des hivers assez rudes qui pendaient des stalactites de glace au-dessus de mon lit dans une pièce sans chauffage, et j’ai même pu manger un morceau de viande où grouillaient des asticots, mais de vraie viande. J’ai pu bénéficier de la réduction d’une double fracture sans anesthésie.  J’ai survécu.


Ici, Jacques Charpentreau aux côtés d'Hélène Cadou

     Marié, père de famille, toujours favorisé, j’ai pu nous loger dans une pièce unique d’un îlot insalubre du 13e arrondissement de Paris, sans eau courante mais avec un robinet commun dans la cour, et des toilettes, un cabinet pour vingt familles, mais, encore un privilège, ma famille avait pu acquérir un seau hygiénique.
     Et puis, privilégié de père en fils, vieille habitude familiale, j’ai pu travailler un peu plus en allongeant mes journées, en utilisant les congés et vacances, etc.
     Alors, quand je lis dans les journaux et quand j’entends à la radio (car, faveur suprême, je ne possède pas la télévision), quand j’apprends qu’aujourd’hui dans notre pays il y a tant d’enfants défavorisés, j'ai honte, et je me sens un peu coupable de ne pas l'avoir été, moi, défavorisé.
                                  
Jacques Charpentreau 
10 février 2012



1 commentaire:

  1. un peu à l'instar aujourd'hui des élèves, des lycéens dans la rue en ce moment...Les pôvres!

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