mercredi 27 avril 2016

La Journée nationale du souvenir des victimes de la déportation





Comme chaque année le dernier dimanche d'avril, la Journée nationale du souvenir des victimes de la déportation qui honore la mémoire de tous les déportés et rend hommage à leur sacrifice s'est déroulée le dimanche 24 avril 2016. Cette journée rappelle à tous ce drame historique majeur et sensibilise le public au monde de l'internement et de la déportation afin que de tels faits ne se reproduisent plus.

Un peu avant 16 heures, le cortège est arrivé au Mémorial de la Shoah pour une cérémonie qui a débuté sur le parvis par un dépôt de gerbes par Anne Hidalgo, Maire de Paris, Jean-Marc Todeschini, Secrétaire d'État auprès du ministre de la Défense, chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire, les associations d'anciens déportésJacques Fredj, directeur du Mémorial et Serge Klarsfeld, avocat et historien, au pied du cylindre de bronze porte les noms du ghetto de Varsovie et des camps d'Auschwitz, Belzec, Bergen-Belsen, Birkenau, Buchenwald, Chelmno, Dachau, Majdanek, Mauthausen, Sobibor, Struthof et Treblinka. 


                   


S'en sont suivis des honneurs aux morts et une minute de silence puis, le cortège s'est déplace vers la crypte du Mémorial pour une signature du livre d'or et un recueillement devant l'étoile de David en marbre noir, tombeau symbolique des six millions de Juifs morts sans sépulture. Jacques Fredj, directeur du Mémorial, a poursuivi par une présentation du Mur des Noms où sont gravés les noms des 76 000 Juifs déportés de France pendant la Shoah et devant lequel tout le monde s'est à nouveau recueilli. 

        









































Photos de haut en bas :
1-  Dépôt de gerbe par Anne Hidalgo
2 - Dépôt de gerbe par les associations d'anciens déportés
3 - Dépôt de gerbe par Jacques Fredj et Serge Klarsfeld
4 - Signature du Livre d'or par Jean-Marc Todeschini
5 - Recueillement dans la crypte du Mémorial
6 - Présentation du Mur des Noms par Jacques Fredj
Crédit : Marilou Tremil

BAUDELAIRE. Petits poèmes en prose. Le Spleen de Paris. La Soupe et les Nuages

Le Spleen de Paris

    
Le Spleen de Paris est un recueil de poèmes en prose paru deux années après la mort de Charles Baudelaire, en 1869, publié par Charles Asselineau et Théodore de Banville, hommes de lettres et critiques d'art français. L'oeuvre est publiée dans le quatrième volume d'une édition définitive de l'ensemble des oeuvres et critiques d'art du poète. Ce recueil est composé de 50 poèmes en prose, ce qui explique le sous-titre de l'oeuvre: Petits Poèmes en prose.

    Tout en s'intéressant à la modernité de l'univers urbain, Charles Baudelaire propose dans ce recueil des oeuvres innovantes, s'éloignant de la forme traditionnelle poétique. Il se consacrera à ce recueil les 17 dernières années de sa vie.


*  *  *



La Soupe et les Nuages



Ma petite folle bien-aimée me donnait à dîner, et par la fenêtre ouverte de la salle à manger je contemplais les mouvantes architectures que Dieu fait avec les vapeurs, les merveilleuses constructions de l’impalpable. Et je me disais, à travers ma contemplation : « — Toutes ces fantasmagories sont presque aussi belles que les yeux de ma belle bien-aimée, la petite folle monstrueuse aux yeux verts. »

Et tout à coup je reçus un violent coup de poing dans le dos, et j’entendis une voix rauque et charmante, une voix hystérique et comme enrouée par l’eau-de-vie, la voix de ma chère petite bien-aimée, qui disait : « — Allez-vous bientôt manger votre soupe, s…. b….. de marchand de nuages ? »


Charles BAUDELAIRE
In Petits poèmes en prose
XLIV





mardi 26 avril 2016

GUENOUN. Le Mot du Mardi


















Peut-on être viré de la Pléiade? (et autres histoires sur une collection mythique)





A l'occasion de la publication des deux tomes consacrés à l'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa en mars dernier, on découvrira l'histoire méconnue de la pourtant célèbre Bibliothèque de la Pléiade à travers sept récits autour de Céline, Saint-John Perse, Raymond Queneau ou encore Milan Kundera.

Jean d'Ormesson en 2015. • Crédits : N. Messyasz - Sipa



Les tomes 1 et 2 des “Oeuvres romanesques” de Mario Vargas Llosa publiées ce 24 mars 2016 portent respectivement les numéros 610 et 611. L’écrivain péruvien, Nobel de littérature en 2010, est le premier étranger à intégrer de son vivant la Bibliothèque de la Pléiade, puisque Milan Kundera, qui l’a précédé en 2011, avait été naturalisé avant. L’occasion d’un retour en sept histoires sur cette prestigieuse collection méconnue.


1- “Votre petit Baudelaire me ravit”, écrit André Gide - ou comment Gallimard met la main sur une bibliothèque à succès

"Votre petit Baudelaire me ravit. C’est une merveille de présentation”, écrit André Gide à Jacques Schiffrin dans une lettre du 23 novembre 1931. Schiffrin vient de publier le tout premier numéro de sa Bibliothèque de la Pléiade. Editeur indépendant dont la famille est originaire de Bakou en Azerbaïdjan, il crée le format avec l’idée de rassembler la part majeure de l’oeuvre d’un écrivain en un même recueil, et donne à sa collection le nom d’un groupe de poètes de langue russe, même si on y voit aujourd’hui davantage une référence à la constellation du Taureau ou au groupe de poètes français du XVIème siècle dont faisaient partie Ronsard et Du Bellay.

Editant d’abord des auteurs russes, Schiffrin travaille étroitement avec Gide à qui il confie par exemple la traduction de La Dame de pique de Pouchkine. C’est Gide qui oeuvrera pour que Gallimard abrite la Bibliothèque de la Pléiade dont la trésorerie n’est pas suffisante pour absorber la demande forte dès les premiers succès. Schiffrin rejoint la Maison Gallimard d’où il pilote sa Bibliothèque jusqu’en 1940, date de l’aryanisation de la maison d’édition après le début de l’Occupation. Il reste trace d’une lettre que lui envoie Gaston Gallimard pour lui expliquer qu’il doit se séparer de lui. Jacques Schiffrin, avec l’aide de Gide, rejoindra New-York par un bateau du réseau Varian Fry, le même qu’Hannah Arendt ou Marc Chagall.
Gaston Gallimard en 1950. • Crédits : Universal Photo - Sipa


Alors que, ne souffrant pas de pénurie de papier bible, la Bibliothèque de la Pléiade pâtit beaucoup moins de la guerre que les autres collections, Schiffrin ne sera pas réintégré dans les rangs de Gallimard après la Libération, et meurt à New York en 1950.

2 - “Les 100 ouvrages que tout honnête homme se devrait d’avoir lu”, interroge Raymond Queneau - qui décide du catalogue ?

Longtemps aux manettes de la collection Pléiade chez Gallimard, Raymond Queneau avait adressé en 1949 un questionnaire à quelque deux cents auteurs éminents intitulé :

Quels sont les cent ouvrages que tout honnête homme se devrait d'avoir lus ?

L'universitaire Marielle Macé rapporte que des auteurs contactés par Queneau ont répondu... en citant leurs propres ouvrages. Déjà, à l’époque, la question de la canonisation d’auteurs estampillés “Pléiade” fait débat. Soixante ans plus tard, les polémiques autour du choix des auteurs "pléiadisés" ne sont toujours pas si différentes des débats quant à l'entrée de telle ou telle sommité au Panthéon. En commun, l’idée d’une consécration allant de pair avec cette entrée dans ce que Malraux qualifiait de “musée imaginaire”.
Raymond Queneau en 1970
Crédits : Ozkok - Sipa


Sur le web, on trouve moult blogs, parfois excellents et très bien documentés, dont l’auteur critique ici un nouvel ajout, encense là une consécration tardive. Avec une mention spéciale pour l'entrée de De Gaulle au temple des grands écrivains en 2000 ou encore l’annonce récente d’une arrivée imminente à La Pléiade de Jean D’Ormesson, féconde en polémiques. Traditionnellement, la Maison Gallimard ne justifie pas ses choix et s’il existe bien un directeur de collection (le même depuis 1997, Hugues Pradier), ce dernier est le premier à dire qu'Antoine Gallimard prend en réalité intimement part au pilotage du catalogue.

Catalogue qui a d’ailleurs évolué, intégrant un domaine étranger de plus en plus vaste y compris du théâtre sanskrit ou un volume “Sagas islandaises” paru en 1987.

L’historien Jean-Yves Mollier, spécialiste de l’édition, note aussi qu’entre 1980 et les années 2000, la Bibliothèque a montré un intérêt accru pour les correspondances ou les journaux, publiant par exemple la correspondance de Baudelaire ou le journal de Stendhal.“Les premières décennies ont été marquées par la constitution d’un fond classique en droite ligne avec les critères scolaires ou universitaires : Balzac, Zola, Corneille, Molière, La Fontaine… Puis l’ouverture s’est incarnée avec l’arrivée en Pléiade d’auteurs vivants comme Saint-John Perse ou Yourcenar. Enfin, la Pléiade a choisi de publier une littérature plus populaire, avec Jules Verne, Melville ou Mark Twain (l’auteur des aventures de Tom Sawyer)", poursuit Jean-Yves Mollier.

Au micro de José Artur dans “A l’heure du pop”, Antoine Gallimard confiait sur France Inter en 1993 avoir reçu quelques tomberaux d’injures lorsqu’il a décidé de sortir Sade en Pléiade. A l'époque, la Pléiade ne comptait pas encore Blaise Cendrars, Aragon, Boulgakov, Nabokov ou Francis Scott Fitzgerald.


3 - “Je n’aurai de cesse, vingt fois que je vous le demande” - un auteur a-t-il son mot à dire ?

Certains auteurs ont vivement insisté pour se voir publier à la Pléiade, à l’instar de Céline qui écrivait cette célèbre lettre à Gaston Gallimard en 1956 :

Les vieillards, vous le savez, ont leurs manies. Les miennes sont d'être publié dans la Pléiade (Collection Schiffrin) et édité dans votre collection de poche... Je n'aurai de cesse, vingt fois que je vous le demande. Ne me réfutez pas que votre Conseil, etc. etc... tout alibis, comparses, employés de votre ministère... C'est vous la Décision.

Céline a bien eu gain de cause, mais pas avant sa mort : Mort à crédit en Pléiade porte le numéro 157 en 1962. D’autres appels du pied se sont fait plus ou moins discrets. Saint-John Perse, qui avait à cœur d’être consacré de son vivant, relance plusieurs fois par courrier : "Il est temps, plus que temps, de passer à la mise en train de cette édition”, écrit-il en 1965 à Gaston Gallimard. Il finit par piloter son propre volume, allant jusqu’à rédiger tous les textes adjacents de l’oeuvre, et même de fausses correspondances - “Une oeuvre dans tous les sens du terme : il s’est voulu l’auteur de son tombeau littéraire, dont il façonné l’image”, décrypte Jean-Yves Mollier au sujet du premier auteur à avoir été publié de son vivant après Gide.

Si des auteurs ont pu faire le siège de Gallimard pour obtenir gain de cause, d’autres se sont montrés récalcitrants. Foucault, vieux pourfendeur de l’académisme et des institutions, aurait-il souri à ce clair-obscur que représente son arrivée dans le catalogue en 2015 ? Henri Michaux, en tous cas, avait refusé sa propre pléiadisation de son vivant. Que trouve-t-on aux numéros 444, 475 et 506 ? Trois tomes à son nom.

On ne peut pas pléiadiser un auteur contre son gré s’il s’y est rigoureusement opposé par écrit, ce qui revient en fait à l’indiquer dans son testament. Une simple opposition orale, toute aussi médiatique soit-elle, n’a aucune valeur : “Si le droit moral est propriété incessible de l’auteur et de ses ayants droit, l’éditeur est détenteur des droits patrimoniaux et reste libre d’éditer autant d’éditions qu’il veut”, explique Jean-Yves Mollier. Cas particulier : si nombre d’auteurs à la Pléiade appartenaient déjà au catalogue de Gallimard, il arrive qu’une négociation avec un autre éditeur détenteur des droits soit nécessaire. C’est ce qui a retardé jusqu’en 2012 la sortie de Francis Scott Fitzgerald après refus catégorique de l’éditeur et explique l’absence au catalogue de Beckett (publié aux Editions de Minuit).

Dans des entretiens inédits de 1975 accordés à Michel Contat, Jean-Paul Sartre racontait pourquoi il avait changé d’avis. D’abord hostile à une parution à la Pléiade, le philosophe a bien donné son accord. Il fait aujourd’hui l’objet de trois volumes sortis entre 1982 et 2010, qui distinguent “œuvres romanesques”, “théâtre complet” et “Les Mots et autres écrits autobiographiques”.



4 - “Mais vous pouvez avoir tout le théâtre de Racine dans votre poche” - la Pléiade est-elle vraiment l’autre Livre de poche ?

La confusion vient d’une affiche de publicité qui remonte à 1932, alors que Schiffrin s’apprête à publier le numéro 2, Racine. Le slogan dit : “Mais vous pouvez avoir tout le théâtre de Racine dans votre poche”.

Affiche de la Pléiade en 1932



Au-delà du fameux papier bible et de la reliure en agneau qui les distinguent de façon spectaculaire, les deux bibliothèques partagent surtout un format rigoureusement identique, au centimètre près. Démocratique, La Pléiade ? On peut régulièrement entendre Hugues Pradier, directeur éditorial, souligner combien cet objet de librairie rend accessible des œuvres intégrales, comme si l’enjeu était le prix à la page ou au poids. L’argument n’est pas neuf : André Schiffrin, le fils de Jacques, racontait à Alain Veinstein en 2008 que son père souhaitait d’abord s’adresser à des étudiants.


L’historien Jean-Yves Mollier, spécialiste de l’édition, nuance cependant cette vision :
"Dire que c’est une édition de Poche accessible serait totalement faux. La Pléiade a toujours été un objet luxueux, dont le contenant est en harmonie avec le contenu. L’enjeu a toujours été le prestige."



5 - “Vous m’en mettrez trois mètres” - qui achète les éditions La Pléiade ?

Jacques Attali raffole de cette anecdote qui dit beaucoup du prestige de la collection, lecteur compris : arrivés à Paris en pleine Guerre d’Algérie, les jumeaux Bernard et Jacques Attali se seraient vus offrir par leur père l’intégrale de la collection Pléiade dans cet appartement où l’on répondait à tout enfant piaffant d’ennui : “Tu n’as rien à lire ?”

Avoir des Pléiade a longtemps été un signe de distinction sociale. Nous ne disposons pas de nombreuses données sociologiques sur la clientèle, même si la Maison Gallimard mène régulièrement des enquêtes auprès du lectorat, qui restent secrètes. Fort peu de travaux académiques sont d’ailleurs consacrés à la Pléiade.  Jean-Yves Mollier a cependant eu accès à certaines données et raconte que la clientèle a longtemps été nombreuse parmi la bourgeoisie diplômée.
On sait que dans les années 60, les volumes qui sortaient à la Pléiade étaient systématiquement achetés par les médecins. C’était un signe ostentatoire de leur accès non seulement au monde de l’argent, mais aussi au monde de la culture.

Aujourd’hui et depuis les années 80,  la Pléiade a bien deux publics : d’un côté le public universitaire, lettré et même érudit, qui puise notamment dans ce qu’on appelle “l’appareil critique”, c’est-à-dire annotations, commentaires de texte empruntant à la génétique littéraire, notes de bas de page et autres préfaces ; de l’autre, le grand public, que Gallimard cherchera à cibler de plus en plus.


Pub Pléiade • Crédits : @Gallimard


Jean-Yves Mollier, lui, souligne un troisième public, essentiel : le lectorat étranger. L’universitaire rappelle ainsi un concours organisé par Gallimard il y a une petite vingtaine d’années, avec une Bibliothèque Pléiade intégrale à la clé. Surprise : outre l’affluence imprévue, une grande part des bonnes réponses émanaient de pays de l’Est ou d’Amérique latine. Ce lectorat étranger, qui lisait en français sur papier bible, a longtemps été essentiel. Le Péruvien Vargas Llosa, entré à son tour au catalogue ce 24 mars 2016 et premier étranger de son vivant (après Kundera, bien que naturalisé français), ne confie-t-il pas dans un avant-propos du premier tome de sa Pléiade combien la Bibliothèque est une pierre angulaire de sa conception de la culture ?

"Les volumes de la Pléiade que j'ai pris très tôt l'habitude de m'offrir à chacun de mes anniversaires [...] constituent à mes yeux ce territoire où n'accèdent que les oeuvres littéraires qui ont résisté à l'épreuve du temps et ont été définitivement consacrées comme dignes de faire partie de cette bibliothèque idéale, éternellement jeune et éternellement renouvelée, porteuse d'un message vivant pour les lecteurs de tous les temps, dans toutes les langues et toutes les cultures."

Ce lectorat-là a-t-il fondu avec l'influence de la culture classique française dans le monde, y compris sa part francophone ? Gallimard distille au compte-gouttes ces chiffres de vente comme les autres. Alban Cerisier, en charge des fonds patrimoniaux chez Gallimard, indique cependant que les ventes en 2006 étaient stables par rapport à 1956… mais pour un catalogue dont le nombre de titres avait quadruplé, avec aujourd’hui une dizaine de titres nouveaux par an. C’est-à-dire qu’il se vend toujours à peu près autant de Pléiade, mais beaucoup moins d’exemplaires de chaque volume. Autre indication : la Pléiade représente 10% du chiffre d’affaire net de la Maison avec quelque 300 000 livres écoulés par an (296 000 en 2015, selon le site Gallimard), contre 450 000 au plus fort du succès de la Bibliothèque, dans les années 80.

Si les ventes résistent globalement, trois auteurs se maintiennent particulièrement. Dans le peloton de tête depuis longtemps parmi les 207 auteurs au répertoire, plastronnent, dans l'ordre : Antoine de Saint-Exupéry, Marcel Proust puis Albert Camus. Viennent ensuite Verlaine, Rimbaud et Malraux. Sur France Culture, Antoine Gallimard confiait en revanche il y a quelques années que Saint Augustin, canonisé entre 1998 et 2002 en trois volumes, n'avait pas conforté leurs espoirs.

Si Bertrand Legendre, économiste spécialiste de l’édition, souligne l’intérêt marchand pour un éditeur à “pléiadiser” un auteur de son catalogue par effet d’entrainement jusqu’aux éditions les plus ordinaires, c’est aussi le prestige de toute la Maison Gallimard qui est dopé par la Pléiade. Le même Bertrand Legendre rappelle ainsi combien avoir Gallimard et donc la Pléiade en partenaire commercial peut jouer, du point de vue d’un éditeur étranger, lors d’une négociation de droits par exemple. Alban Cerisier, lui, relativisait l’effet de notoriété dans un colloque consacré à la Pléiade en 2007 à Aix-en-Provence : “Un quart seulement des personnes qui connaissent La Pléiade l’associent aujourd’hui spontanément à Gallimard”, rapportent les actes de ce colloque.




6 - “L’histoire est riche de testaments trahis” - qui dit Pléiade dit forcément “oeuvres complètes” et appareil critique ?

Jacques Schiffrin, comme aujourd’hui Hugues Pradier, a beaucoup valorisé l’idée d’œuvres complètes. Pourtant, les éditions d’oeuvres complètes concurrentes sont aujourd’hui nombreuses, jusque dans le giron Gallimard, d’ailleurs. Aujourd’hui, la Pléiade n’est plus systématiquement synonyme de complétude. D’autant qu’en publiant des auteurs vivants, l’éditeur s’est condamné à associé l’intéressé au choix des oeuvres. Le cas le plus emblématique fût sans doute celui de Kundera, “pléiadisé” en 2011. L’universitaire François Ricard, qui l’a accompagné dans cette aventure, raconte combien Kundera avait à cœur de contrôler ces volumes qui portent le nom “œuvre” au singulier avec la mention “édition définitive” :

Kundera a exclu tout ce que nous avons appelé “écrits de circonstance”. Certains sont pourtant très bons. Mais pour Kundera, ils n’ont pas la même signification, indépendamment de leur qualité. La notion de durée est essentielle : Kundera travaille infiniment ses romans et ses essais pour les dépouiller le plus possible de ce qui toucherait un peu trop à l’actualité. Il ne voulait pour la Pléiade que des écrits littéraires, et pas ce qui relève d’actes politiques ou d’interventions dans la vie sociale. Ce ne sont pas des oeuvres complètes, mais une sélection de ses livres.


Milan Kundera en 2010. • Crédits : Duclos - Sipa



Aucun brouillon ni variante, et un appareil critique réduit à une sobre “biographie de l’oeuvre” (sic) sans aucune note dans cet ouvrage publié de son vivant, alors que, quête du public universitaire oblige, les Pléiades publiés depuis les années 70 sont de plus en plus lourds d’un corpus parallèle au texte validé par l’auteur. Jean-Yves Mollier confirme cette tendance :

"L’appareil critique est quasiment absent ou très restreint jusqu’à la fin des années 60. Une légère introduction, une petite chronologie… Puis il sera de plus en plus important. Comparez par exemple La Comédie humaine dans son édition de 1935 et les volumes publiés à partir de 1975. Il n’y avait aucune note alors que la nouvelle édition est énorme !"

Se pose ainsi la question des écrits inachevés ou encore de la comparaison de deux versions, dont on ne sait pas toujours si elle aurait ravi l’auteur. Et que peut signifier l’idée de version définitive dans un cas comme Henri Michaux, connu pour publier deux voire trois fois un recueil de poèmes avant de l’envoyer enfin à Gallimard ? Son texte Emergences - Résurgences figure aujourd’hui en Pléiade en deux versions, une première mouture réputée “achevée” mais jamais envoyée ni publiée ayant été dénichée dans les archives de Michaud. Ce travail éditorial mené par Raymond Bellour avait fait débat à sa sortie.



7 - “Nous en reparlerons en l’an 2000”- peut-on être dépublié à la Pléiade ?

Chaque volume porte un numéro et si une édition se joue en deux volumes, elle tiendra sur deux numéros. Propos, du philosophe Alain, affiche ainsi les numéros 116 pour le tome 1 publié en 1956 et 217 pour le tome 2 sorti en… 1970. Chaque année, après l’été, Gallimard fait le point sur le plan de réimpression et décide, en fonction des stocks mais aussi des chiffres de vente, de réimprimer tel ou tel ouvrage et, parfois, d’en confier une nouvelle édition à un spécialiste. En ce cas, la nouvelle version sera marquée du numéro originel. Baudelaire, tout premier numéro, compte par exemple trois éditions de son premier tome d’Oeuvres complètes, toutes flanquées du chiffre 1, et sorties successivement en 1931, 1951 et 1975.

Cent quarante-huit titres du fonds sont réimprimés chaque année, d'après Gallimard. D’autres seront tout simplement abandonnés, et s’appelleront pudiquement “les numéros épuisés”. En fait, il s’agit de la frange du catalogue qui n’est plus réimprimée par Gallimard. Le plus souvent, le fait de faibles ventes ou d’une notoriété en berne. Ils sont quelques uns, souvent très peu connus du grand public ceci expliquant cela, à être sortis du catalogue réel de la Pléiade. On peut citer par exemple Agrippa d’Aubigné, Charles Cros mais aussi, plus connu, Benjamin Constant.

On découvre parfois par hasard qu’un auteur a été bouté hors du Panthéon bis. Mathias Enard, dans Boussole, raconte ainsi l’histoire de Germain Nouveau, sorti de la Pléiade avec pertes mais sans fracas : publié aux côtés de Lautréamont en 1970 (n°218) il ne survivra pas à son illustre voisin puisque Gallimard décide en 2009 de republier un plein volume avec le seul Lautréamont... sous le numéro 218 originel, désormais expurgé de son ancien colocataire, Germain Nouveau !



Et quand on interrogeait Raymond Queneau sur la postérité de sa “bibliothèque universelle”,  il hasardait cette réponse : "Nous en reparlerons en l’an 2000..."

Souces : ©France culture, ©Chloé Leprince

vendredi 22 avril 2016

PESSA'H. Quelques règles "élémentaires"(!)









Pessa'h est rempli de symboles évoquant tour à tour l’esclavage et la liberté.


La Pâque Juive (Pessa'h en Hébreu) est connue comme étant la “Fête de la Liberté”, commémorant la sortie des Juifs d’Egypte après 210 ans d’esclavage. Pessa'h est considéré comme « la naissance » du Peuple juif et ses enseignements sur notre lutte et notre identité qui continuent de former les bases de notre conscience juive 3300 ans après cet événement.
La fête de Pessa'h dure 8 jours (7 jours en Israël). Son nom provient de la dernière plaie d’Egypte, celle de la mort des premiers-nés lors de laquelle Dieu « passa au dessus » des maisons juives. D'où l'appellation de "Passover day" pour les anglos-saxons.



SOIR DU SEDER – Pessa'h commence par la célébration d’un Seder détaillé durant les deux premiers soirs (uniquement le 1er soir en Israël). Le but du Seder est de faire revivre à chaque Juif l’expérience de « quitter l’esclavage pour la liberté ». Nous racontons l’histoire de la sortie d’Egypte et celle des 10 plaies, telle qu’elle est écrite dans la Haggadah. Nous mangeons des aliments symboles de l’esclavage et d’autres symboles de la liberté. Le repas de fêtes est établi à l’aide de recettes délicieuses et tous l’attendent impatiemment d’année en année (il suffit de penser aux boulettes de farine de Matza ). Nous récitons la prière du Hallel et concluons le Seder en proclamant « L’an prochain à Jérusalem ! »
Le Seder unit d’un lien spécial toute la famille. Il est d’ailleurs accordé ce soir-là aux enfants une attention particulière. Ils participent activement au déroulement de la soirée. Ils chantonnent les Quatre Questions (Ma Nishtana) et Dayenou, lisent la partie consacrée aux Quatre Fils, tentent de dérober l’Afikoman et ouvrent la porte pour accueillir le prophète Eliyahou.



MATZA – Manger la Matza le soir du Seder est une grande Mitzvah. Elle en est le symbole essentiel. Chacun devrait essayer de manger 2/3 de Matza carrée ou ½ Matza ronde, en 4 minutes, accoudé sur le coté gauche. La raison principale pour manger de la Matza est de nous rappeler qu’au matin de la libération, nous étions dans une telle hâte de quitter l’Egypte que nous sommes partis sans que notre pain n’ait eu le temps de lever. A la fin du repas, un « dessert » spécial est servi, un autre morceau de Matza appelée Afikoman.



QUATRE VERRES – Durant le Seder, nous buvons quatre verres de vin – correspondant aux quatre expressions utilisées pour décrire notre liberté dans la Torah (Exode 6:6-7). Chacun devrait avoir son propre verre, contenant au minimum 86 ml. Il faut essayer de vider entièrement son verre à chaque fois ou du moins en boire un maximum en 4 minutes. Pour exprimer notre sentiment de liberté, nous nous adossons en arrière, accoudés sur le coté gauche, pour boire nos Quatre Verres.



KARPAS – Nous mangeons le KARPAS au début du Seder, un légume (céleri, persil ou pomme de terre) trempé dans de l’eau salée pour commémorer nos larmes durant le travail forcé.


MAROR – Nous mangeons ensuite le MAROR, les Herbes Amères. Selon leur coutume, certains utilisent le Raifort ou de la salade Romaine. (A noter que le Raifort en bocal ne devrait pas être utilisé car il est très souvent mélangé aux betteraves). Le Maror est trempé dans la CHAROSET, mélange de noix, dattes, pommes et vin, symbole de brique et de mortier.


CHAZERET – Nous mangeons aussi le Maror en le plaçant entre deux Matzot selon l’enseignement de Hillel.


ZERO’AH – Dans le plateau du Seder, un morceau de mouton ou une aile ou cou de poulet selon les coutumes, rappelle le sacrifice d’un agneau que D.ieu nous avaient ordonnés de consommer la veille de notre départ. Le mot Zero’ah en hébreu signifie « bras », symbolisant le bras puissant de D.ieu qui nous fit sortir d’Egypte.



BEITZAH – Egalement présent dans le plateau du Seder, un œuf dur qui représente les sacrifices du Temple effectués lors de Pessa'h, Shavout et Soukkot.



LISTE POUR LE SEDER – Le Seder signifie « ordre » du fait de l’abondance de détails à se rappeler - voyez par vous-mêmes! - Il doit comprendre:

Un plateau de Seder dans lequel se trouvent:
Céleri, persil ou pomme de terre (Karpas),
Laitue (Maror),
Raifort (Chazeret),
Charoset,
Une aile de poulet ou du mouton rôti (Zero'ah),
Un oeuf dur (Beitzah),
3 Matzot,
Un tissu recouvrant les 3 Matzot (prévoir une Matza supplémentaire),
Vin,
Jus de raisin,
Haggadot,
Coupe d’Eliyahou,
Eau salée,
Verres de Kiddoush,
Coussins sur lesquels s’accouder,
Récompenses pour les enfants pour avoir trouvé l’Afikoman.



INTERDIT DE HAMETZ – Durant la semaine de Pessa'h, les Juifs ne doivent ni manger ni avoir en leur possession du Hametz (levain). On doit donc pour cette raison, se débarrasser (ou vendre) tout pain, gâteaux, pâtes, bière etc…et n’acheter que des produits « Cacher L’Pessa'h ». Les Juifs Ashkénazes ne doivent pas manger tout ce qui est Kitnyot comme les haricots etc. Pour éviter tout problème de résidus de Hametz, nous devons utiliser des plats et ustensiles spéciaux pendant Pessa'h. Aussi et pour être prêts à temps, certains commencent le nettoyage de Pessa'h plusieurs semaines avant la fête.




RECHERCHER ET BRULER LE HAMETZ – La veille de Pessa'h, nous effectuons la recherche du Hametz dans nos maisons. Celle-ci se fait à la lueur d’une bougie dans une atmosphère qui captive les enfants et est attendue chaque année par toute la famille. Le Hametz est brûlé le lendemain matin lors d’une cérémonie appelée Sray'fat Hametz ou doit être « vendu » à un non-juif pour toute la durée de la semaine de Pessa'h. Cette vente est une affaire sérieuse et doit être entérinée par un contrat. Elle ne devrait se faire qu’avec un rabbin qualifié. La nourriture ayant fait l’objet de cette vente doit être enfermée dans un placard et celui-ci scellé jusqu'à la fin de la fête.



Rabbin Shraga Simmons 


DESNOS. Le Legs






Le Legs


Et voici, Père Hugo, ton nom sur les murailles !
Tu peux te retourner au fond du Panthéon
Pour savoir qui a fait cela. Qui l’a fait ? On !
On c’est Hitler, on c’est Goebbels… C’est la racaille,

Un Laval, un Pétain, un Bonnard, un Brinon,
Ceux qui savent trahir et ceux qui font ripaille,
Ceux qui sont destinés aux justes représailles
Et cela ne fait pas un grand nombre de noms.

Ces gens de peu d’esprit et de faible culture
Ont besoin d’alibis dans leur sale aventure.
Ils ont dit : « Le bonhomme est mort. Il est dompté. »

Oui, le bonhomme est mort. Mais par-devant notaire
Il a bien précisé quel legs il voulait faire :
Le notaire a nom : France, et le legs : Liberté.



Robert DESNOS
in Ce cœur qui haïssait la guerre


*   *   *
Ce poème a été publié le 14 juillet 1943, date symbolique. Robert Desnos ne l’a donc pas signé de son véritable nom, mais sous le pseudonyme de Lucien Gallois, afin de masquer son identité. En effet, il risquait d’être arrêté par la Milice française ou les Allemands.

L’Honneur des poètes publié clandestinement par Eluard rassemble alors divers poèmes d’écrivains engagés contre les nazis. 

DESNOS. Maréchal Ducono





Maréchal Ducono

Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déja loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.

S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience ?

À la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche:
Maréchal Ducono continue à pioncer.

C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme fiotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser


Robert DESNOS
A la caille, 1944

Poème écrit en 1943 et publiés en 1945 sous le pseudonyme de Cancale



Montoire, octobre 40

jeudi 21 avril 2016

"La. Reprise. Elle. Est. Là" : Hollande, ce virtuose du rap, ou plutôt du trap



La diction saccadée du chef de l'Etat, moquée par nombre de ses imitateurs, appartient en fait au même courant musical que le flow de Booba.

©Thibault Camus/POOL/AFP





Le président de la République invité dans une émission face aux Français, depuis le Musée de l’Homme : un exercice de communication, un lieu de culture, quelle meilleure occasion de rendre hommage au subtil raffinement de la diction de François Hollande ? Car le chef de l’Etat est sans doute l’un de nos meilleurs "trap rappeurs".


On connaît la trap music, ce rap originaire d’Atlanta et du "Dirty South" des Etats-Unis, auquel maints rappeurs français se sont convertis, comme Gradur ou Booba. Le trap se caractérise par un flow haché, une diction saccadée et comme hachichine, où le locuteur découpe tous les mots, voire les syllabes, sur un rythme lent. Une vidéo intitulée "France : 66 millions d’habitants, 10 millions de rappeurs et 1 seul flow" épingle le phénomène. Un commentateur dénonce même "une épidémie de bégaiement".On connaît la trap music, ce rap originaire d’Atlanta et du "Dirty South" des Etats-Unis, auquel maints rappeurs français se sont convertis, comme Gradur ou Booba. Le trap se caractérise par un flow haché, une diction saccadée et comme hachichine, où le locuteur découpe tous les mots, voire les syllabes, sur un rythme lent. Une vidéo intitulée "France : 66 millions d’habitants, 10 millions de rappeurs et 1 seul flow" épingle le phénomène. Un commentateur dénonce même "une épidémie de bégaiement".

Cette scansion heurtée, hachée de breaks, parfois monosyllabique, toujours monocorde, les connaisseurs s’accordent à dire que François Hollande la porte à son plus haut point de virtuose incandescence : "La. Reprise. Elle. Est. Là." François Hollande, maître du genre, "Trap Queen".
Grâce à lui, le trap est devenu notre grand rythme national. One nation under a groove. Allons. Enfants. De la. Patrie. On note que son Premier ministre s’y est mis aussi, par loyauté sans doute. Tous "Dirty South" ! 

Allez, patience, bientôt, c’est tout le gouvernement qui passera à la "trap".


Source: L'Obs.Fabrice Pliskin

Jean d'O. Extrait







« La science et la technique ont pris le pas sur la nature, sur le pouvoir, sur la poésie, sur la philosophie et sur la religion. Voilà le coeur de l'affaire. Elles ont bouleversé notre vie.
Ça commence avec la ronde des saisons et du jour et de la nuit. Avec la terreur devant le soir qui tombe, devant la foudre et le tonnerre, devant les éclipses. Ça continue avec l'observation de la marche du soleil et de la lune, avec le refus de la magie, avec les balbutiements de la raison. Ça se poursuit avec d'énormes machineries, avec des sphères de cristal qui glissent les unes sur les autres dans le ciel, avec des anges mécaniciens, avec des systèmes de l'univers. Et puis la gravitation, l'évolution, la relativité, l'expansion, le big bang là haut et ses milliards d'années, l'incertitude quantique tout en bas. Ça finit par des puces. Ce qui a changé, ce sont les puces : elles règnent sur notre avenir.


Très vite, l'immensité se contracte, s'apprivoise, devient mobile et nomade, descend dans la rue, pénètre dans les foyers. Ouvrez les yeux. Que voyez-vous ? Des puces. Des voitures partout, des avions dans le ciel, des portables aussi nombreux ou plus que les êtres humains, des ordinateurs et la Toile. Des mécanismes minuscules, des filaments, des pointes d'épingles ont remplacé les mystères, les esprits cachés un peu partout et les dieux. Le pouvoir et l'argent s'installent sur Internet. Le portable entre nos mains prend la place du chapelet. Facebook est une communion sans Dieu, mêlée de confession. L'univers sans bornes est tombé sous votre coupe. L'infiniment grand et son jumeau, l'infiniment petit, viennent manger dans votre main.



..."Le portable entre nos mains prend la place du chapelet"...


Bientôt, semées sous votre peau, les puces feront partie de votre corps. Vous serez votre propre robot. Un autre monde est déjà au travail. Tout ce que la science est capable de faire, elle le fera. Un rêve de puissance nous emporte. La physique mathématique et la biologie moléculaire sont la poésie d'aujourd'hui. Ce sont elles qui traduisent et qui façonnent le monde et elles soulèvent chez les jeunes gens l'enthousiasme qui venait hier des poètes. »


Jean d'Ormesson
in Je dirai malgré tout que cette vie fut belle, 2016




LÊDO IVO. Brûle



Brûle
Brûle tout ce que tu peux:
les lettres d’amour
les notes de téléphone
la liste des vêtements sales
les actes et les certificats
les confidences des collègues irrités
la confession interrompue
le poème érotique qui ratifie l’impuissance et annonce l’artériosclérose
les vieilles coupures de journaux et les photographies jaunies.
Ne laisse aux héritiers faméliques
aucun souvenir de papier.
Sois comme les loups: vis dans une caverne
et ne montre à la canaille des rues que des dents affilées.
Vis et meurs fermé comme une noix.
Dis toujours non à la scorie électronique.


Détruis les poésies interrompues, les esquisses, les variantes et les fragments
qui provoquent l’orgasme tardif des philologues et des glossateurs.
Ne laisse pas une miette aux ramasseurs d’ordures littéraires.
Ne confie à personne ton secret.
La vérité ne peut être dite.

LÊDO IVO

(Traduction d’Olivier Favier)


..."Sois comme les loups: vis dans une caverne

et ne montre à la canaille des rues que des dents affilées."...
___________________________
Lêdo Ivo (1924 - 2012) est un poète, journaliste, romancier, nouvelliste, chroniqueur, traducteur et essayiste brésilien. Il fut l’un des exposants les plus influents de la dénommée Génération de 1945 (en portugais Geração de '45) du mouvement moderniste dans la littérature brésilienne.

mardi 19 avril 2016

Jules RENARD. Nouvelle lune




Nouvelle Lune



L’ongle de la lune repousse.

Le soleil a disparu. On se retourne : la lune est là. Elle suivait, sans rien dire, modeste et patiente imitatrice.

La lune exacte est revenue. L’homme attendait, le cœur comprimé dans les ténèbres, si heureux de la voir qu’il ne sait plus ce qu’il voulait lui dire.

De gros nuages blancs s’approchent de la pleine lune comme des ours d’un gâteau de miel.

Le rêveur s’épuise à regarder la lune sans aiguilles et qui ne marque rien, jamais rien.

On se sent tout à coup mal à l’aise. C’est la lune qui s’éloigne et emporte nos secrets. On voit encore à l’horizon le bout de son oreille.




Jules RENARD
in Histoires naturelles








lundi 18 avril 2016

DEVOS. Le mille feuille












Raymond Devos, né le 9 novembre 1922 à Mouscron en Belgique, est mort le 15 juin 2006 à Saint-Rémy-lès-Chevreuse dans les Yvelines.

DEVOS. Jésus revient






Jésus revient


Je viens de lire sur un mur
une chose étonnante.
Quelqu'un avait écrit :
"Jésus revient."
C'était en toutes lettres:
"Jésus revient."
Vous vous rendez compte
Jésus!
C'est important!
Jésus!
C'est le ciel!
Et les gens passaient à côté... indifférents:
- Tiens ! Jésus revient ?
Il y a même qui faisaient des réflexions désobligeantes:
- Eh bien, il a mis du temps!
Et, pourtant,
si c'était vrai ?
Si Jésus revenait ?
Ce serait merveilleux!
"Jésus revient."
Il est là!
Où?
Là!
"Ah! c'est vous ? Mon Dieu !"
Je ne vous avais pas reconnu !
Si j'ai entendu parler de vous ? ...
Pensez ! ...
Quand j'était petit, on me parlait toujours du petit Jésus.
Le petit Jésus !
Je vous voyais tout petit !
Et tout à coup,
je découvre... un grand Seigneur !
- Devinez qui vient dîner ce soir ?
Vous me voyez devant la porte de ma demeure,
annonçant la nouvelle à travers le judas ?
- Devinez qui vient dîner ce soir ?
- Je vous le donne en mille : Jésus !
- Mais non !
- Mais si !
Vous voyez d'ici la scène
...
Il voudrait peut-être mieux ne pas raviver la Passion!

Raymond Devos

dimanche 17 avril 2016

Paul CELAN. HAVDALAH. הבדלה







Havdalah


A l'un, à
l'unique
fil, à lui
tu files — par lui
entouré, jusque dans
le libre, là-bas,
dans le lié.




Grands
les fuseaux se dressent
dans le non-pays, les arbres : il y a
venue d'en-bas, une
lumière nouée dans le tapis
d'air sur lequel tu mets la table, pour les chaises
vides et leur
éclat de sabbat, pour --



les honorer.                                     




Paul CELAN
in La rose de personne
Traduction de Martine Broda







______________________
(On peut traduire Havdalah par "séparation")

La havdalah (en hébreu : הבדלה) est une prière juive dite le soir de shabbat et qui exprime la séparation du kodesh (saint/sacré) et du 'hol (ordinaire/profane), c'est-à-dire le passage du shabbat aux jours normaux de la semaine. Cette prière se dit dès la sortie (c'est-à-dire la fin du jour du shabbat à l'apparition des trois premières étoiles) de celui-ci et est suivie de chants.