jeudi 19 mai 2016

ARAGON. Les débuts du fugitif


"La beauté de la femme m'émeut davantage que le loup garou l'explosion de grisou le chant du coucou hibou pou genou" (...)
ARAGON in Au café du commerce, 1919
*   *   *



Les débuts du fugitif 

J'ai abandonné l'espoir à côté d'un mécanisme d'horlogerie
Comme la hache tranchait la dernière minute
Il y avait un grand concours de peuple pour cette exécution capitale
Les enfants juchés sur les épaules 
Faisaient de la main des signes de joie et de peur

Dans une autre rue au bord de la mer

La terre tournait dans l'air de la mer
Une fille qui chantait une scie
Montrait un peu sa peau plus douce que la vie
On tuait ferme dans tous les coins 
Des chevaux évadés dans les ascenseurs 
Riaient comme des personnes humaines
C'était un pays de blessures où soufflaient des vents dévorateurs
Les arbres s'y brisaient dans la main des hommes
Tant l'énervement était général
Comme de simples allumettes
Les gens sortaient de chez eux n'y tenant plus
Comment pouvez revêtir vos habits de la veille
Mettez vos pianos sur le trottoir dans l'attente de la pluie
Est-ce que mourir un jour comme aujourd'hui ne serait pas une grande merveille 
La ville où vous viviez la voilà qui s'éloigne 
Toute petite dans le souvenir
Passez-moi les jumelles que je regarde une dernière fois
Le linge qui sèche aux fenêtres
Paradis tout est dispersé C'est l'heure
Où plus personne ne peut dire le nom de celui qu'il touche
Jusqu'à la senteur du soir enfin qui m'est étrangère
Comme le papier d'Arménie
Ou une chanson nouvelle que tout le monde connaît déjà
Rien ne m'attache ici pas même l'avenir
Il n'est pas né l'obus qui pourrait me contenir
Que le ciel est petit à la fin des journées
Ses horizons sont faux ses portes condamnées
La lune croit vraiment que les chiens vont la mordre
Je chasse les étoiles avec la main
Mouches nocturnes ne vous abattez pas sur mon cœur 
Vous pouvez toujours me crier Fixe
Capitaines de l'habitude et de la nuit 
Je m'échappe indéfiniment sous le chapeau de l'infini 
Qu'on ne m'attende jamais à mes rendez-vous illusoires




Louis Aragon
Les débuts du fugitif 
in Les destinées de la poésie


Dans Le Mouvement perpétuel Aragon a réuni la plupart des poèmes écrits entre 1919 et 1925/26. Le livre est précédé de la dédicace suivante:  "Je dédie ce livre à LA POÉSIE et merde pour ceux qui le liront"



"...Je m'échappe indéfiniment sous le chapeau de l'infini..." 

René Magritte
L'homme au chapeau melon
1964


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