dimanche 26 juin 2016

Pierre FERRAN.






A mal famé B comme bouche

C trop souvent aveuglement cité

et D au plus fort prix cédé

comme E au coeur du pays des autruches,

F rangé bien ou mal, G latine

H, ah !landais, jamais ne vous vis I rité !

J rat faux, K rat fond, L et moi, M et vous,

N hervé, O pérette, on n'est pas au P roux,

Q rit aux "ite", R nie être anglais,

S et tes rats, T les faux nids !

U manie terre et V voir I

W, X, Y ne sont pas raisonnables,

Z deux grands boeufs dans mon étable


Pierre Ferran  





samedi 25 juin 2016

Baudelaire. La Beauté







La Beauté


Je suis belle, ô mortels! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s'est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poète un amour
Eternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris;
J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes,
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poètes, devant mes grandes attitudes,
Que j'ai l'air d'emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d'austères études;

Car j'ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles:
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles!


Charles Baudelaire
in Les Fleurs du Mal



jeudi 23 juin 2016

Vian. Je n'ai plus très envie



Boris Vian meurt le 23 juin 1959. Il a 39 ans.




Je n'ai plus très envie

 

Je n'ai plus très envie

D'écrire des poésies

Si c'était comme avant

J'en ferais plus souvent

Mais je me sens bien vieux

Je me sens bien sérieux.

Je me sens consciencieux

Je me sens paresseux.

Boris VIAN 

vendredi 17 juin 2016

Victor Hugo. Elle était déchaussée, elle était décoiffée





…Un des rares poèmes de Victor HUGO dans Les Contemplations où le deuil et la douleur ne sont pas exprimés.





Elle était déchaussée, elle était décoiffée...




Elle était déchaussée, elle était décoiffée,
Assise, les pieds nus, parmi les joncs penchants ;
Moi qui passais par là, je crus voir une fée,
Et je lui dis : Veux-tu t'en venir dans les champs ?

Elle me regarda de ce regard suprême
Qui reste à la beauté quand nous en triomphons,
Et je lui dis : Veux-tu, c'est le mois où l'on aime,
Veux-tu nous en aller sous les arbres profonds ?

Elle essuya ses pieds à l'herbe de la rive ;
Elle me regarda pour la seconde fois,
Et la belle folâtre alors devint pensive.
Oh ! comme les oiseaux chantaient au fond des bois !

Comme l'eau caressait doucement le rivage !
Je vis venir à moi, dans les grands roseaux verts,
La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers.



Victor HUGO
in Les Contemplations
 juin 1856

 

"...La belle fille heureuse, effarée et sauvage,
Ses cheveux dans ses yeux, et riant au travers."


jeudi 16 juin 2016

Boris VIAN. L'écume des jours, chapitre XXV. Extrait





Boris Vian est né le 10 mars 1920 à Ville-d'Avray (Hauts- de-Seine)
et décédé le 23 juin 1959 à Paris. Il a 39 ans.


 *


« Pourquoi sont-ils si méprisants ? demanda Chloé. Ce n’est pas tellement bien de travailler…
– On leur a dit que c’était bien, dit Colin. En général, on trouve ça bien. En fait, personne ne le pense. On le fait par habitude et pour ne pas y penser, justement.
– En tout cas, c’est idiot de faire un travail que des machines pourraient faire.
– Il faut construire des machines, dit Colin. Qui le fera ?
– Oh ! Évidemment, dit Chloé. Pour faire un œuf, il faut une poule, une fois qu’on a la poule, on peut avoir des tas d’œufs. Il vaut donc mieux commencer par la poule.
– Il faudrait savoir, dit Colin, qui empêche de faire des machines. C’est le temps qui doit manquer. Les gens perdent leur temps à vivre, alors, il ne leur en reste plus pour travailler.
– Ce n’est pas plutôt le contraire ? dit Chloé.
– Non, dit Colin. S’ils avaient le temps de construire les machines, après ils n’auraient plus besoin de rien faire. Ce que je veux dire, c’est qu’ils travaillent pour vivre au lieu de travailler à construire des machines qui les feraient vivre sans travailler.
– C’est compliqué, estima Chloé.
– Non, dit Colin. C’est très simple. Ça devrait, bien entendu, venir progressivement. Mais, on perd tellement de temps à faire des choses qui s’usent…
– Mais, tu crois qu’ils n’aimeraient pas mieux rester chez eux et embrasser leur femme et aller à la piscine et aux divertissements ?
– Non, dit Colin. Parce qu’ils n’y pensent pas.
– Mais est-ce que c’est leur faute si ils croient que c’est bien de travailler ?
– Non, dit Colin, ce n’est pas leur faute. C’est parce qu’on leur a dit : « Le travail, c’est sacré, c’est bien, c’est beau, c’est ce qui compte avant tout, et seuls les travailleurs ont droit à tout. » Seulement, on s’arrange pour les faire travailler tout le temps et alors ils ne peuvent pas en profiter.
– Mais, alors, ils sont bêtes ? dit Chloé.
– Oui, ils sont bêtes, dit Colin. C’est pour ça qu’ils sont d’accord avec ceux qui leur font croire que le travail, c’est ce qu’il y a de mieux. Ça leur évite de réfléchir et de chercher à progresser et à ne plus travailler.
– Parlons d’autre chose, dit Chloé. C’est épuisant, ces sujets-là. Dis-moi si tu aimes mes cheveux…
– Je t’ai déjà dit… »
Il la prit sur ses genoux. De nouveau, il se sentait complètement heureux.
« Je t’ai déjà dit que je t’aimais bien en gros et en détail.
– Alors, détaille », dit Chloé, en se laissant aller dans les bras de Colin, câline comme une couleuvre.»


Boris VIAN
in L'écume des jours
Chapitre XXV


mercredi 15 juin 2016

LA FONTAINE. La Jeune Veuve



...Le temps n'est-il pas le plus grand consolateur ? Apophtegme bien connu de ceux qui ont atteint l'âge de la sagesse, comme le père de la Belle et, sans doute, La Fontaine lui-même... 



La Jeune Veuve

     
    La perte d’un époux ne va point sans soupirs ;
    On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console :
    Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole,
                Le Temps ramène les plaisirs.
                Entre la veuve d’une année
                Et la veuve d’une journée
    La différence est grande ; on ne croirait jamais
                Que ce fût la même personne :
    L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.
    Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;
    C’est toujours même note et pareil entretien ;
                On dit qu’on est inconsolable ;
                On le dit, mais il n’en est rien,
                Comme on verra par cette fable,
                Ou plutôt par la vérité.
     
                L’époux d’une jeune beauté
    Partait pour l’autre monde. À ses côtés, sa femme
    Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme,
    Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »
                Le mari fait seul le voyage.
    La belle avait un père, homme prudent et sage ;
                Il laissa le torrent couler.
                À la fin, pour la consoler :
    « Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :
    Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?
    Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.
                Je ne dis pas que tout à l’heure
                Une condition meilleure
                Change en des noces ces transports ;
    Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose
    Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose
          Que le défunt. — Ah ! dit-elle aussitôt,
                Un cloître est l’époux qu’il me faut. »
    Le père lui laissa digérer sa disgrâce.
                Un mois de la sorte se passe ;
    L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours
    Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :
                Le deuil enfin sert de parure,
                En attendant d’autres atours ;
                Toute la bande des Amours
    Revient au colombier ; les jeux, les ris, la danse,
                Ont aussi leur tour à la fin :
                On se plonge soir et matin
                Dans la fontaine de Jouvence.
    Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;
    Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :
                « Où donc est le jeune mari
                Que vous m’avez promis ? » dit-elle.
     


JEAN DE LA FONTAINE
Fables XXI, livre sixième.




La Jeune Veuve
Illustration de Gustave DORE   



    


  ... Toute la bande des Amours
   Revient au colombier ...

William BOUGUEREAU1825 - 1905


(...)  On se plonge soir et matin
Dans la fontaine de Jouvence. (...)

Jean-Léon GEROME, 1824 - 1904






dimanche 12 juin 2016

PASCAL. Le doute : "Je suis dans un état à plaindre"





Blaise Pascal, bien que très croyant, doute. Hannah Arendt écrira que cette attitude constitue un tournant dans l'histoire de la pensée. Désormais la foi ne peut plus prétendre abolir  le doute. Extrait :



" Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts, et je ne vois partout qu'obscurité. La nature ne m'offre rien qui ne soit matière de doute et d'inquiétude. Si je ne voyais rien qui marquât une Divinité, je me déterminerais à la négative; si je voyais partout des marques d'un Créateur, je reposerais en paix dans la foi. Mais, voyant trop pour nier et trop peu pour m'assurer, je suis dans un état à plaindre, et où j'ai souhaité cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquât sans équivoque ; et que, si les marques qu'elle en donne sont trompeuses, elle les supprimât tout à fait; qu'elle dît tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu'en l'état où je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition ni mon devoir. Mon coeur tend tout entier à connaître où est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour l'éternité. »


Blaise Pascal



Hannah Arendt




samedi 11 juin 2016

DESNOS. Les Quatre sans cou





Les Quatre sans cou

Ils étaient quatre qui n’avaient plus de tête,
Quatre à qui l’on avait coupé le cou,
On les appelait les quatre sans cou.
Quand ils buvaient un verre,
Au café de la place ou du boulevard,
Les garçons n’oubliaient pas d’apporter des entonnoirs.
Quand ils mangeaient, c’était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c’était du sang.
Quand ils couraient, c’était du vent,
Quand ils pleuraient, c’était vivant,
Quand ils dormaient, c’était sans regret.
Quand ils travaillaient, c’était méchant,
Quand ils rodaient, c’était effrayant,
Quand ils jouaient, c’était différent,
Quand ils jouaient, c’était comme tout le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,
Quand ils jouaient, c’était étonnant.
Mais quand ils parlaient, c’était d’amour.
Ils auraient pour un baiser
Donné ce qui leur restait de sang.
Leurs mains avaient des lignes sans nombre
Qui se perdraient parmi les ombres
Comme des rails dans la forêt.
Quand ils s’asseyaient, c’était plus majestueux que des rois
Et les idoles se cachaient derrière leur croix
Quand devant elles ils passaient droits.
On leur avait rapporté leur tête
Plus de vingt fois, plus de cent fois,
Les ayant retrouves à la chasse ou dans les fêtes,
Mais jamais ils ne voulurent reprendre
Ces têtes où brillaient leurs yeux,
Où les souvenirs dormaient dans leur cervelle.
Cela ne faisait peut-être pas l’affaire
Des chapeliers et des dentistes.
La gaîté des uns rend les autres tristes.
Les quatre sans cou vivent encore, c’est certain,
J’en connais au moins un
Et peut-être aussi les trois autres,
Le premier, c’est Anatole,
Le second, c’est Croquignole,
Le troisième, c’est Barbemolle,
Le quatrième, c’est encore Anatole.
Je les vois de moins en moins,
Car c’est déprimant, à la fin,
La fréquentation des gens trop malins.

Robert DESNOS
Les Sans Cou




Voir et écouter le poème