Charles-Guillaume ETIENNE est un poète et académicien français, né en 1777. On lui attribue l'apophtegme "On n'est jamais si bien servi que par soi-même". Laissons-nous embarquer (pour vérification!) avec un extrait de René de Chateaubriand dans un va-et-vient entre l'œuvre et la vie, où la confondante érudition s'oublie dans le talent entraînant du conteur.
* *
"Comment
exprimer cette foule de sensations fugitives que j'éprouvais dans mes
promenades ? Les sons que rendent les passions dans le vide d’un cœur solitaire
ressemblent au murmure que les vents et les eaux font entendre dans le silence
d’un désert ; on en jouit, mais on ne peut les peindre.
L’automne
me surprit au milieu de ces incertitudes : j’entrai avec ravissement dans le
mois des tempêtes. Tantôt j’aurais voulu être un de ces guerriers errant au
milieu des vents, des nuages et des fantômes ; tantôt j’enviais jusqu’au sort
du pâtre que je voyais réchauffer ses mains à l’humble feu de broussailles
qu’il avait allumé au coin d’un bois. J’écoutais ses chants mélancoliques, qui
me rappelaient que dans tout pays le chant naturel de l’homme est triste, lors
même qu’il exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre
où il manque des cordes, et où nous sommes forcés de rendre les accents de la
joie sur le ton consacré aux soupirs.
Le jour,
je m’égarais sur de grandes bruyères terminées par des forêts. Qu’il fallait
peu de chose à ma rêverie ! une feuille séchée que le vent chassait devant moi,
une cabane dont la fumée s’élevait dans la cime dépouillée des arbres, la
mousse qui tremblait au souffle du Nord sur le tronc d’un chêne, une roche
écartée, un étang désert où le jonc flétri murmurait ! Le clocher solitaire
s’élevant au loin dans la vallée a souvent attiré mes regards ; souvent j’ai
suivi des yeux les oiseaux de passage qui volaient au-dessus de ma tête. Je me
figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j’aurais
voulu être sur leurs ailes. Un secret instinct me tourmentait : je sentais que
je n’étais moi-même qu’un voyageur, mais une voix du ciel semblait me dire : «
Homme, la saison de ta migration n’est pas encore venue ; attends que le vent
de la mort se lève, alors tu déploieras ton vol vers ces régions inconnues que
ton cœur demande. »
«
Levez-vous vite, orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une
autre vie ! » Ainsi disant, je marchais à grands pas, le visage enflammé, le
vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté,
tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur."
François-René
de Chateaubriand
in René
1802
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