samedi 26 novembre 2016

Jacqueline de ROMILLY. Le trésor des savoirs oubliés, extrait.









À quoi bon apprendre tant de choses qu'on s'empressera d'oublier sitôt les examens passés ? À cette critique si souvent entendue contre l'enseignement scolaire, Jacqueline de Romilly oppose ici quelques arguments simples, et dont chacun de nous a pu faire l'expérience.

Entre un savoir précis et l'oubli total, il y a bien des degrés. Nos souvenirs peuvent être partiels, flous, incertains : pourtant nous sentons bien qu'ils sont présents en nous. Ils ont laissé des traces et constituent pour l'esprit des repères intellectuels, mais aussi affectifs ou moraux.
 Extraits : 


(...) l'élève n'aura pas seulement rencontré des exemples de raisonnement. Il n'aura pas fait l'expérience seulement de verdicts, d'opinions, de propositions : il fera aussi, avec les auteurs ou personnages du passé, connaissance avec toutes les émotions possibles ; il aura rencontré tous les bonheurs et tous les malheurs, toutes les causes d'indignation et d'ingratitude, et toutes les aventures : cela aura élargi et enrichi son horizon intérieur. Laissons pour le moment de côté l'enrichissement moral qui, on le devine, compte beaucoup - on y reviendra. Mais d'ores et déjà il est clair que cet enrichissement intérieur joue aussi dans la formation de son esprit. Ce n'est plus le jugement proprement dit qui se forme ici : c'est la compréhension.

Compréhension des êtres et des sentiments, compréhension des situations et des passions. Or, le meilleur moyen de réagir sainement dans la vie, est de percevoir les idées et les problèmes avec une profondeur humaine qui seule leur donne leur vrai sens. La compréhension qui naît ainsi chez l'élève est la forme la plus haute de l'intelligence.

L'élève qui aura fait ses classes, même modestement, aura ajouté aux souvenirs des contes qui charmaient son enfance tout l'héritage de l'expérience humaine. Il aura conquis un empire avec Alexandre ou Napoléon, il aura perdu une fille avec Victor Hugo, il aura lutté seul sur les mers comme Ulysse ou bien comme Conrad, il aura vécu l'amour, la révolte, l'exil, la gloire. En fait d'expériences, ce n'est pas mal ! Et même s'il a oublié tous les détails, la possibilité de ces grandes aventures reste en lui comme une forme imprécise, mais capable d'éclairer sa très modeste expérience quotidienne et de faire de lui un esprit mieux informé, i.e., plus large et plus sûr.
De plus - et cela compte ! - il aura été habitué à la diversité des jugements possibles et au contraste des divers sentiments ; il aura dû choisir, il aura dû prendre position. Ainsi se forme l'esprit critique. Par rapport à ces opinions de toutes sortes qu'il aura rencontrées, il aura été contraint de s'en former une à lui, qui ne soit pas due à une imitation hâtive des propos entendus autour de lui, mais qui soit éclairée, mûrie, personnelle.

Jacqueline de ROMILLY
Le trésor des savoirs oubliés










2 commentaires:

Merci d'utiliser cet espace pour publier vos appréciations.