mardi 31 janvier 2017

Jules RENARD. Journal, 1910





Edmond ROSTAND. 
Décidément, Jules RENARD l'appréciait peu !



1er février.

Chantecler. 131 et 133, dans un petit coin. A Cyrano et à L'Aiglon, pour la répétition générale et pour la première, nous avions des places au premier rang. C'est l'échelle de la gloire.

Rostand est surtout un indifférent littéraire. Nous sommes tout au moins ses confrères : il ne nous lit pas.

L'artificiel lui suffit au point qu'il se passionne pour lui comme si c'était la vérité.

Il ne recherche pas, mais il accepte.

Est-il plus tranquille ? Touche-t-il la gloire ? Ne souffre-t-il pas du moindre succès d'un autre ?

Il peut marcher tout le temps sur un tapis, mais il est obligé de vivre la bouche dans l'air, à tous les miasmes.

Servitude. Etre l'obligé d'un homme qui se conduit comme une fripouille.

Certains menteurs ont un tel besoin de mentir qu'on a pitié d'eux et qu'on les aide.

Je connais quelques vers de Chantecler, dit Capus. Ils sont beaux et stupides : beaux quand Guitry me les dit, stupides quand je les écoute.

 Jules RENARD 
in Journal
1er février 1910. 


Pas rancunier, E.ROSTAND !...

(fac-similé d'une correspondance de ROSTAND à RENARD)    









lundi 30 janvier 2017

Alpha

                   











dimanche 29 janvier 2017

Orthographe : méfions nous des imitations !




« poil à bois »


Déniché par hasard sur le site du Bon Coin ®,  ce « poil à bois ». En matière de confusion d'homonymes, force est d'avouer que la presse écrite n'est pas vraiment en reste : constatez (et corrigez) plutôt...

« Nous, petites communes, allons être sacrifiées sur l'hôtel des économies » (Le Berry républicain) ; « Pêle-mêle on retrouve [...] une vidéo de 2 h 30 offrant la pluie qui tombe dans un jardin ou encore une master class de physique cantique » (Le Dauphiné) ; « Pensant qu'il avait rencontré la trajectoire du haillon de son véhicule, elle n'a pas prêté une attention particulière à l'homme qui prenait la fuite » (La Dépêche) ; « Comme deux ronds de flanc, ils venaient de voir leur numéro 1 mondial se faire retourner comme une calzone » (L'Équipe) ; « Après un succès record durant l'été, le soufflet est retombé brutalement » (L'Express) ; « En fin d'émission, Samir Nasri est passé sur le grill de l'Équipe du soir » (France Football) ; « Ou encore, tout au fond, un miroir sans teint fabriqué à l’ancienne » (Libération) ; « Carte scolaire : le monde rural paye un lourd tribu » (Le Maine libre) ; « Très vite, la voiture ballet cède la place au défilé des spectateurs ravis » (Midi libre) ; « De jeunes prodiges [...] ont manié l'archer sur les cordes des violons avec une dextérité extraordinaire » (La Montagne) ; « L'association [...] a veillé à ce que la vinification se déroule sous les meilleurs hospices » (La Nouvelle République) ; « Pour compenser leurs nouvelles missions [...], les régions réclament à corps et à cri quelque 600 millions d'euros de l'État » (Le Point) ; « Quatre heures de longs discours emprunts de ferveur socialiste » (Le Parisien) ; « Sport et bonne chair sont compatibles » (Le Républicain lorrain) ; « Chaussures délassées, le maître parisien de la "house dance" dispense la bonne parole » (Sud-Ouest) ; « Arthur, se sentant d'humeur taquine, n'a pas cessé de leur envoyer des pics » (Télé Star) ; « L’actuel patron de la marque au bouclier va prendre les rennes de Roldeco, une entité industrielle de Rolex » (Le Temps) ; « Les fonds baptismaux [...] ont été repositionnés à l'entrée de l'église » (La Voix du Nord). 



Vous aurez remplacé les mots visés par :  autel, quantique, hayon, flan, soufflé, gril, tain, tribut, balai, archet, auspices, cor, empreints, chère, délacées, piques, rênes et fonts. 







vendredi 27 janvier 2017

Shoah : comment la bande dessinée représente l'indescriptible



Non sans prudence, erreurs et tâtonnements, parfois avec génie, la bande dessinée s’est emparée d’un sujet aussi universel qu’indicible : la Shoah. C’est ce parcours historique et artistique à travers le 9e Art que vous invite à découvrir cette exposition, en interrogeant les sources visuelles de ces représentations, leur pertinence, leur portée et leurs limites, des comics à la bande dessinée franco-belge, des romans graphiques aux mangas.

Le Mémorial de la Shoah, à Paris, dresse ce rare inventaire de la relation entre la narration graphique et l'holocauste, riche de 200 planches.



Le Mémorial de la Shoah, à Paris, présente cette exposition poignante, jusqu'au 30 octobre, sur la représentation de l'holocauste dans la bande dessinée. Au-delà de la révolution Maus, d'Art Spiegelman, le roman graphique coup de poing des années 80, le musée consacré à l'histoire juive durant la Seconde Guerre mondiale s'interroge sur les tenants et aboutissants de cet art populaire qui s'est emparé du sujet dès l'année 1942, jusqu'à aujourd'hui. Son initiative est essentielle à la mémoire collective.
Comment sont relayés les témoignages? Comment le talent des auteurs s'est-il déployé pour traduire l'indicible en images? Riche de 200 documents originaux, l'exposition offre au public les superbes planches de Will Eisner, Calvo, Jack Davis, Jack Kirby ou encore celles de Jean Graton et Paul Gillon, talentueux dépositaires de cette tragique mémoire.


● David Olère, premiers dessins, premières sources documentaires



Avant que la Shoah soit représentée par des gens qui ne l'ont pas vécue, il était important de la montrer à travers les témoignages de rescapés. Il y en a trois dans l'exposition, des victimes qui étaient peintres ou dessinateurs avant de rentrer dans le camp.
David Olère

Parmi ces témoins, David Olère, peintre, affichiste et décorateur de cinéma. Il est arrêté en 1943 et déporté à Auschwitz. Il était Sonderkommando, le «commando spécial» qui doit sortir les corps des chambres à gaz et récupérer sur les cadavres les dents en or et tout ce qui pouvait être récupéré avant de les incinérer dans les fours crématoires. Il n'y a rien de plus traumatisant.
En termes de représentation, on est dans une narration proche de la bande dessinée, où il décrit chacune des étapes de cette horreur, de la sélection à l'arrivée jusqu'au gazage et à la crémation des corps. Il arrive à restituer des choses que personne n'a pu photographier ou filmer. Et encore moins à l'intérieur des chambres à gaz. Il y a ici une volonté de témoignage.
Les recoupements avec d'autres récits permettent d'affirmer l'exactitude de ses restitutions, qui influenceront beaucoup les représentations à venir.




● La Bête est morte! de Edmond-François Calvo, première mention de la Shoah



Publiée à la fin de l'année 1944, La Bête est morte ! est aujourd'hui très largement considérée comme une bande dessinée de référence. La guerre n'est pas finie à ce moment-là. Sa forme animalière permet d'atténuer une réalité horrible. Le réalisme serait insupportable. Cette œuvre est extrêmement documentée.



"La Bête est morte", d’Edmond-François Calvo (dessin), Victor Dancette et Jacques Zimmermann (scénaristes), Éditions Gallimard, novembre 1944, collection particulière. /©Mémorial de la Shoah. 



Cette page de La Bête est morte! représente la première mention de la Shoah dans la bande dessinée. Le terme même de génocide, que le juriste Raphael Lemkin est en train de créer, n'est pas encore diffusé. Et pourtant les auteurs de l'ouvrage évoquent, afin de décrire le sort des Juifs, «le plus atroce plan de destruction» et «l'anéantissement total», définition même de ce qu'est un génocide. Une évocation aussi claire de la Shoah est exceptionnelle par sa précocité. Le dessin est très clair, montrant notamment comment les femmes étaient séparées de leurs enfants à leur arrivée dans le camp, ou des scènes de torture. Il n'y a pas de description plus précise que celle-là.



● La révolution Maus, d'Art Spiegelman


Couverture de l'intégrale «Maus», 1992.

Maus est une révolution que personne n'attendait. Spiegelman est un auteur ' underground ', animé par la même volonté que ses congénères , mettre du sexe dans la BD et la faire basculer dans le monde adulte. En 1980, Françoise Mouly, sa femme, crée Raw où il va publier Maus. Sa chance est de le publier après 1978, moment où Will Eisner promeut le roman graphique.


Ce n'est pas uniquement un documentaire, mais l'histoire d'une relation entre un père et son fils. Un fils qui essaie de comprendre ce que son père a vécu pour mieux l'appréhender. L'album est d'une grande modernité avec une mise en abyme du processus de création. Maus reçoit la plus haute distinction littéraire des États-Unis, le prix Pulitzer. C'est la première grande bande dessinée qui parle de la Shoah à la fois de manière affective, documentée et moderne. Il faut bien avoir conscience qu'avant ce chef-d'œuvre, les bds étaient des comic books qu'on trouvait dans des librairies spécialisées, alors que Maus était dans les librairies grand public, à côté des essais et des romans sur la Shoah.»





Shoah et bande dessinée, au Mémorial de la Shoah, jusqu'au 30 octobre.
Non sans prudence, erreurs et tâtonnements, parfois avec génie, la bande dessinée s’est emparée d’un sujet aussi universel qu’indicible : la Shoah. C’est ce parcours historique et artistique à travers le 9e Art que vous invite à découvrir cette exposition, en interrogeant les sources visuelles de ces représentations, leur pertinence, leur portée et leurs limites, des comics à la bande dessinée franco-belge, des romans graphiques aux mangas.




Commentaire inspiré de ©Didier Pasamonik, commissaire de l'exposition.

jeudi 26 janvier 2017

Maurice Carême. Etranges fleurs





Étranges fleurs



L'automne met dans les lilas
D'étranges fleurs que nul ne voit,

Des fleurs aux tons si transparents
Qu'il faut avoir gardé longtemps

Son âme de petit enfant
Pour les voir le long des sentiers

Et pour pouvoir les assembler
En un seul bouquet de clarté

Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...


Maurice Carême
©Fondation Maurice Carême.


 
...Comme font, à l'aube, les anges
Les mains pleines d'étoiles blanches...

Van Gogh.
Nuit étoilée sur le Rhône, 1888.





Van Gogh a toujours été fasciné par le ciel nocturne. Et ce passionné d'astronomie et d'astrologie se demande : " Mais quand donc ferai-je le ciel étoilé, ce tableau qui, toujours, me préoccupe ? " Van Gogh y parvient en septembre 1888, en peignant la nuit sous un bec de gaz. Il écrit à son frère Théo : " Le ciel est bleu-vert, l'eau est bleu de roi, les terrains sont mauves. La ville est bleue et violette, le gaz est jaune et des reflets or roux descendent jusqu'au bronze vert. Sur le champ vert du ciel, la Grande Ourse a un scintillement vert et rose dont la pâleur discrète contraste avec l'or brutal du gaz. Deux figurines colorées d'amoureux à l'avant-plan. " 



mardi 24 janvier 2017

RACINE. Bérénice, acte IV, scène 5






Titus

Et c’est moi seul aussi qui pouvais me détruire.
Je pouvais vivre alors et me laisser séduire ;
Mon cœur se gardait bien d’aller dans l’avenir
Chercher ce qui pouvait un jour nous désunir.
Je voulais qu’à mes vœux rien ne fût invincible,
Je n’examinais rien, j’espérais l’impossible.
Que sais-je ? J’espérais de mourir à vos yeux,
Avant que d’en venir à ces cruels adieux.
Les obstacles semblaient renouveler ma flamme,
Tout l’empire parlait, mais la gloire, Madame,
Ne s’était point encor fait entendre à mon cœur
Du ton dont elle parle au cœur d’un empereur.
Je sais tous les tourments où ce dessein me livre,
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon cœur de moi-même est prêt à s’éloigner,
Mais il ne s’agit plus de vivre, il faut régner.

Bérénice

Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J’attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D’un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s’avouant infidèle,
M’ordonnât elle-même une absence éternelle.
Moi-même j’ai voulu vous entendre en ce lieu.
Je n’écoute plus rien, et pour jamais : adieu...
Pour jamais ! Ah, Seigneur ! songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ?
Dans un mois, dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Mais quelle est mon erreur, et que de soins perdus !
L’ingrat, de mon départ consolé par avance,
Daignera-t-il compter les jours de mon absence ?
Ces jours si longs pour moi lui sembleront trop courts.

Jean Racine
in Bérénice,
acte IV, scène 5




Bérénice fut créée le 21 novembre 1670 devant le roi Louis XIV









Bérénice au Français, mis en scène de Murielle Mayette, 4e trimestre 2011







lundi 23 janvier 2017

Marin SORESCU. Shakespeare







 Marin Sorescu  
(poète roumain, 1936-1996)


                                                 Shakespeare


Shakespeare a créé le monde en sept jours.

Le premier jour, il a créé le ciel, les montagnes et les
   gouffres de l'âme.
Le deuxième jour, il a créé les fleuves, les mers, les océans ;
Et tous les sentiments,
Il les a donnés à Hamlet, à César, à Antoine, à Cléopâtre,
   à Ophélie,
A Othello et à d'autres,
Pour qu'ils soient à eux et à leurs descendants,
Siècle après siècle.
Le troisième jour, il a appelé l'ensemble des hommes
Pour leur apprendre tous les goûts :
Goût du bonheur, de l'amour, du désespoir,
Goût de la jalousie, de la gloire, et ainsi de suite,
Jusqu'à l'épuisement des goûts.
Alors sont arrivés quelques individus de la dernière heure ;
Le créateur leur a caressé la tête avec compassion
En leur disant qu'il leur restait à devenir
Critiques littéraires
Et à contester son œuvre.
Le quatrième et le cinquième jours furent réservés au
    rire
Il a lâché les clowns
Pour faire des pirouettes;
Il a distrait les rois, les empereurs
Et les autres infortunés de la terre.
Le sixième jour, il a résolu quelques problèmes
   administratifs ;
Il a déclenché une tempête, 
Et appris au roi Lear
A porter une couronne de paille.
Comme il ne restait de la création du monde que quelques
   déchets,
Il en fit Richard III.
Le septième jour, il regarda s'il avait encore quelque 
   chose à accomplir.
Les directeurs de théâtre avaient couvert la terre
d'affiches ;
Shakespeare pensa qu'après tant de la labeur,
Il méritait lui aussi de voir un spectacle.
Mais, tout d'abord, parce qu'il était fatigué à l'extrême,
Il alla mourir un pe
u.


Marin Sorescu  
in Poème
1965


Une traduction d'Alain Bosquet
in Alain Bosquet,
Les cent plus beaux poèmes du monde,
Paris 1979.



Marin Sorescu  



dimanche 22 janvier 2017

Desnos. Isabelle et Marie



Isabelle et Marie


Isabelle rencontra Marie au bas de l’escalier :

« Tu n’es qu’une chevelure ! lui dit-elle.
— et toi une main.
— main toi-même, omoplate !
— omoplate ? c’est trop fort, espèce de sein !
— Langue ! dent ! pubis !
— œil !
— cils ! aisselle ! rein !
— gorge !… oreille !
— Oreille ? moi ? regarde-toi, narine !
— non mais, vieille gencive !
— doigt !
— con ! »




Robert DESNOS
in Langage cuit
31 mai 1923






...— et toi une main.
— main toi-même, omoplate !...



...— omoplate ? c’est trop fort, espèce de sein !...




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