mardi 17 janvier 2017

Jean-Claude PIROTTE. Poèmes saisis in Plein Emploi, croque-mort et croque-au-sel






Jean-Claude Pirotte (1939-2014) est poète, romancier et peintre.

Il exerce la profession d'avocat de 1964 à 1975. Il est condamné à 18 mois de prison sans sursis et deux mois de contrainte par corps pour avoir soi-disant favorisé la tentative d'évasion d'un de ses clients (acte qu'il a toujours nié). Condamné à un emprisonnement, il s'y soustrait en vivant clandestinement jusqu'à la péremption de sa peine en 1981. 

Sa vie n'est alors qu'une longue errance entre la Bourgogne, la Charente, la Catalogne au gré de l'accueil que lui fournisse ses amis. Cette vie précaire, douloureuse parfois, se retrouve dans ses livres. Même après la péremption de sa peine il poursuivra ses errances. 

En 1995 il s'installe au Portugal, revient en France en 1996, réside à la villa Mont-Noir, la résidence d'écrivains installée dans la propriété de Marguerite Yourcenar, près de la frontière belge, en 1998, et s'installe dans l'Aude en 1999. 

Il expose ses dessins et peintures et illustre de nombreux ouvrages. Il tient une chronique de poésie dans le magazine Lire.

Depuis 2007 sa vie se partage entre le Revermont et les polders du Nord. 
En 2010, il s'installe à Beurnevésin dans le Jura, à la frontière suisse, avec sa compagne, l'écrivaine Sylvie Doizelet (1959). Ils se sont rencontrés en 1999 à la Villa Mont-Noir.
En 2012, il reçoit le Goncourt de la Poésie pour l'ensemble de son œuvre. 


croque-mort et croque-au-sel


on dit mourir pour des prunes
ou travailler seul
se fatiguer pour le roi
de Prusse ou la galerie

se vouer à la monarchie
faut-il être bête pour croire
à la gratitude du ventre
chacun sait que tout est à vendre

les chats les chiens les enfants
cela dure depuis longtemps
on en fait des poèmes faux
truqués comme des bilans




les ombres autrefois

avoir vraiment peu de moyens
et pas d'idées du tout
c'est la gloire à l'infini
on entend les pins sylvestres
murmurer des mots épars
et par les soirs la chevêche
chuchoter avec la lune
on ne comprend rien mais c'est beau
d'être égaré 




croque-mort et croque-au-sel


je vais à la chasse aux fées
qui est interdite en été

le bonheur de braconner
c'est de conter fleurette aux fées

moins farouches qu'en hiver
et beaucoup moins habillées

mais la chasse aux faits d'hiver
je la laisse aux hommes verts



les ombres autrefois


dans l'épuisement du matin
l'homme est courbé comme le saule
au bord de la rivière mauve
l'homme se prend la tête à deux mains

je me sens couler doucement
entre les roseaux de la rive
je ne rime plus je dérive
un papillon mon ultime compère

attrape un rayon de soleil
il ne sait rien de la durée
mais quant à moi j'ai trop duré
je demande que l'on me laisse





les ombres autrefois


en ouvrant la valise

on n'a trouvé qu'un poème
le corps gisait dans le fossé
sous un buisson de vipérines

le poème disait ceci

me voici libre comme l'air
je voyage avec les insectes
et les mouches familières

en compagnie d'une épeire

sa toile couronne ma vie
mon destin passe par l'oubli
et l'abandon des horaires

croque-mort et croque-au-sel


c'est au mètre que j'écris
les poèmes du carnet
ils sont fanés ils sont gris
canés avant d'être nés

les pages multicolores
de ce carnet pour artistes
elles m'inspirent l'horreur
de n'être pas ébéniste

ou simple cultivateur
ou fabricant de moteurs
ou notaire ou parasite
ou déjà mort à cette heure

j'espère prendre la fuite
mais le carnet me menotte
et me tient ici captif
de moi-même en quelque sorte
                                         


Jean-Claude Pirotte

in Plein emploi 

1 commentaire:

  1. "j'espère prendre la fuite
    mais le carnet me menotte
    et me tient ici captif
    de moi-même en quelque sorte"

    Courage. Fuyez.

    J.

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