vendredi 2 juin 2017

75 ans après la rafle du Vél d'Hiv, la police de Vichy livre enfin ses secrets








©Mémorial de la Shoah


Chercheurs et grand public ont désormais accès à l'intégralité des archives relatives aux Brigades spéciales, chargées de traquer les juifs et les communistes pendant la Seconde guerre mondiale.
Eté 1942. Plus de 13 000 personnes juives sont arrêtées au Vélodrome d’Hiver, à Paris, pour être ensuite déportées au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Parmi elles, un tiers sont des enfants. Les Brigades spéciales de la police du gouvernement de Vichy ont joué un rôle de premier ordre dans cette rafle massive.
Pendant la Seconde guerre mondiale, elles étaient en effet chargées de traquer les juifs, les membres du Parti communiste alors interdit, des homosexuels et les résistants à l’occupant nazi. Mais quelle est la part de responsabilité de la police dans ces sinistres opérations ? Avait-elle agi de sa propre initiative ou n’avait-elle fait qu’exécuter des ordres ? 75 ans après, les historiens cherchent encore à comprendre comment ces rouages sinistres ont pu se mettre en place.

L'intégralité des documents accessible

Afin de percer les derniers mystères des Brigades spéciales, une convention a été signée le 19 mai dernier entre la Préfecture de police, le Mémorial de la Shoah à Paris et le Musée mémorial de l’Holocauste à Washington.
L’accord prévoit de mettre à la disposition des deux musées mémoriaux une copie numérique de l’intégralité des documents émis par la police de Vichy de 1940 à 1944. « Les chercheurs pourront désormais mettre le curseur là où il faut, et analyser les méthodes de fonctionnement de ce service. L’idée n’est pas du tout de porter des accusations sur les uns et les autres, mais bien de comprendre. La préfecture de Police fait œuvre utile en permettant de regarder le passé en face », affirme Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah.
Le spécialiste se veut rassurant quant aux craintes de l’ouverture d’une boîte de Pandore avec la déclassification de ces archives. Lesquelles sont, pour l’instant, uniquement consultables sur les réseaux intranet de chacune des trois institutions signataires de la convention, par toute personne désireuse de la faire. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ayant émis un avis défavorable quant à leur diffusion sur Internet.

Rapports de filature et perquisitions

Que contient ce fonds de documents longtemps considéré comme sulfureux et estimé à une quarantaine de mètres linéaires pour sa version papier et à un volume numérique de 230 Go ? « Il s'agit de dossiers et de fichiers afférents aux différentes catégories de personnes recherchées et poursuivies par les services de police de la collaboration. L’on y trouve notamment comptes rendus d’interrogatoires, rapports de filature et de perquisitions, diverses photos et des courriers internes du service », détaille Jean-Marc Gentil, directeur des affaires culturelles et du patrimoine à la Préfecture de police de Paris.

En somme, une mine d’informations sur les Brigades spéciales initialement créées en septembre 1939 dans le sillage d’un décret relatif à la dissolution du Parti communiste français. Elles étaient constituées de plus de 220 agents pendant leurs heures les plus sombres. Une cinquantaine d’entre eux ont été jugés après la guerre.

Moteur de recherche

La convention qui vient d’être signée intervient après deux autres conclues en 2000 et en 2005. « Elle est fortement symbolique, car nous avons désormais accès à l’intégralité du fonds, ce que nous sollicitions depuis longtemps », fait savoir Radu Loanid, responsable des archives du Musée mémorial de l’Holocauste de Washington. L’institution américaine contribuera d’ailleurs à hauteur de 27 000 dollars (plus de 24 000 euros) à l’indexation de ces dizaines de milliers de documents et à la création d’un moteur de recherche pour faciliter la consultation du fonds.



Qu’est-ce qui a donc favorisé la conclusion de cet accord douze ans après le dernier ? « Ces archives datent de la période 1940-1944, elles ont un caractère judiciaire et donc un délai de protection de 75 ans, celui-ci est expiré pour les documents datant de 1940 à 1942. Il est proche d'expirer pour les documents 1943 et 1944. Des évolutions du contexte incitent aujourd’hui à une facilité de communication des archives portant sur la deuxième guerre mondiale. Ce qui nous a permis de donner satisfaction aux deux institutions », répond Jean-Marc Gentil avec une prudence de Sioux à propos d’une question restée longtemps extrêmement taboue et dérangeante. Peut-être parce qu’aborder la question de la responsabilité de l’Etat dans tout sujet sensible, c’est d’abord questionner le rôle de la police ?

1 commentaire:

  1. Excellente nouvelle.
    Pour les chercheurs historiens, bien sûr.
    Également pour ceux qui ont le scrupule de fonder leurs opinions sur la matérialité des faits. Les faits, tous les faits, rien que les faits.
    J.

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