mardi 29 août 2017

MICHAUX. Passages



Extrait



 « ... Au lieu d'une vision à l'exclusion des autres, j'eusse voulu dessiner les moments qui bout à bout font la vie, donner à voir la phrase intérieure, la phrase sans mot, corde qui indéfiniment se déroule sinueuse, et, dans l'intime, accompagne tout ce qui présente du dehors comme du dedans.

Je voulais dessiner la conscience d'exister et l'écoulement du temps. Comme on se tâte le pouls. Ou encore, en plus restreint, ce qui apparaît lorsque, le soir venu, repasse (en plus court et en sourdine) le film impressionné qui a subi le jour.

Dessin cinématique.

Je tenais au mien, certes. Mais combien j'aurais eu plaisir à un tracé fait par d'autres que moi, à le parcourir comme une merveilleuse ficelle à nœuds et à secrets, où j'aurais eu leur vie à lire et tenu en mains leur parcours.

Mon film à moi n'était guère plus qu'une ligne ou deux ou trois, faisant par-ci par-là rencontre de quelques autres, faisant buisson ici, enlacement là, plus loin livrant bataille, se roulant en pelote ou – sentiments et monument mêlés naturellement – se dressant, fierté, orgueil, ou château ou tour... qu'on pouvait voir, qu'il me semblait qu'on aurait dû voir, mais qu'à vrai dire personne ne voyait. »


Henri MICHAUX
in Passages, 1950



   ...Je voulais dessiner la conscience d'exister et l'écoulement du temps... 







samedi 26 août 2017

Degas



article modifié et complété le 25/08, 15h10
ajout de la première toile pour "En passant"










Signature





Au bord de la mer, sur une plage, trois voiliers au loinvers 1869pastel sur papier beigeH. 0.3 ; L. 0.46musée d'Orsay, Paris, France©photo musée d'Orsay




Etude de ciel




Femme au parasol (jardin des Tuileries)






Musiciens




Champ de lin




A Saint-Valéry-sur-Somme




La rue du Quesnoy à Saint-Valéry-sur-Somme




Etude de Gentille Bellini




La danseuse étoile





Chevaux dans une prairie





Etude de mains




Femme au bain




Manet aux courses, 1870




Femme assise se séchant




Portrait de femme




Après le bain ( femme séchant sa jambe)




Intérieur à Ménil-Hubert





Autoportrait, 1855



Autoportrait au chapeau mou, 1857-1858


Edgar DEGAS (1834-1917), peintre et sculpteur français, est considéré comme l'un des représentants majeurs de l'impressionnisme grâce à sa composition novatrice et à son analyse perspective du mouvement.
De son vrai nom Hilaire Germain Edgar de Gas, il naît à  Paris en juillet 1834 dans une grande famille bourgeoise de banquiers, riche et cultivée.

Il étudie à l'Ecole des Beaux-Arts sous la direction de Lamothe, un disciple d'Ingres, peintre auquel il devait toujours vouer une admiration sans borne. Il y acquiert une grande maîtrise du dessin qui constituera toujours une caractéristique majeure de son art.


Il part pour l'Italie en 1859 où il étudie, à Florence, Naples et Rome, les œuvres du Quattrocento, et peint de nombreux portraits. 




La Famille Bellelli 

La Famille Bellelli (1858-1867) est l'un de ses premiers tableaux véritablement personnels dans lequel l'inspiration réaliste est encore visible.


A partir de 1865, sous l'influence du mouvement impressionniste naissant, il abandonne les sujets académiques de ses débuts pour traiter des thèmes plus contemporains. Il se lie rapidement avec Manet (Portrait de Manet, 1864), Monet et Renoir, et participe à la première exposition impressionniste en 1874. 

Mais contrairement aux autres impressionnistes, il préfèrera toujours travailler à l'atelier et ne partagera pas leur goût de la campagne et du plein air, ainsi que leur recherche sur la lumière naturelle qui est au coeur de leurs préoccupations.

Epris de "modernité" et admirateur de la vie urbaine, il peint des scènes de rue, de spectacles (ballets classiques et cabarets), de champs de course, dans lesquelles il privilégie à l'extrême le souci de la réalité, du geste exact et du mouvement du modèle.


D'un tempérament irascible, Degas vécut mal la ruine de sa famille en 1878 et, devenant lentement aveugle, il sombra dans la misanthropie, se consacrant de plus en plus à la sculpture, à laquelle il avait commencé à s'intéresser bien des années auparavant.





Bain du matin - 1883

A compter de 1879, à travers des oeuvres telles que Femme à la coiffeuse, Degas s'intéressa presque exclusivement au thème pourtant fort ancien des femmes à la toilette. Ironique, parfois cruel, mais toujours objectif et brillant dans la représentation, il pouvait donner libre cours dans ces oeuvres à son irréductible misogynie.

Pratiquant depuis longtemps le pastel, il privilégia cette technique lorsque la cécité commença à le gagner et lui interdit le travail de l'huile trop minutieux. Il évolua vers une technique plus enlevée et plus libre, modelant les volumes par le seul stratagème de la lumière et relevant l'ensemble par quelques touches de couleur pure. 

Ses nombreux tableaux sur le milieu artistique de la danse et du théâtre, le monde des courses de chevaux, et l'univers des femmes, sont autant d'études détaillées et répétées montrant la recherche toujours plus approfondie du peintre sur ses sujets favoris.

L'ensemble de ses tableaux se caractérise par son approche véritablement objective des sujets traités, l'extrême souci du réalisme, du dessin exact et du mouvement des modèles.

Il tente de fixer, à la manière de la photographie naissante, le mouvement, au travers de poses naturelles et spontanées.



jeudi 24 août 2017

Ponge. La pomme de terre



on peut lire... ou écouter le texte (en bas de Ponge page)




Peler une pomme de terre bouillie de bonne qualité est un plaisir de choix.
Entre le gras du pouce et la pointe du couteau tenu par les autres doigts de la même main, l’on saisit — après l’avoir incisé — par l’une de ses lèvres ce rêche et fin papier que l’on tire à soi pour le détacher de la chair appétissante du tubercule.





L’opération facile laisse, quand on a réussi à la parfaire sans s’y reprendre à trop de fois, une impression de satisfaction indicible.
Le léger bruit que font les tissus en se décollant est doux à l’oreille, et la découverte de la pulpe comestible réjouissante.
Il semble, à reconnaître la perfection du fruit nu, sa différence, sa ressemblance, sa surprise — et la facilité de l’opération — que l’on ait accompli là quelque chose de juste, dès longtemps prévu et souhaité par la nature, que l’on a eu toutefois le mérite d’exaucer.
C’est pourquoi je n’en dirai pas plus, au risque de sembler me satisfaire d’un ouvrage trop simple. Il ne me fallait — en quelques phrases sans effort — que déshabiller mon sujet, en en contournant strictement la forme : la laissant intacte mais polie, brillante et toute prête à subir comme à procurer les délices de sa consom­mation.



…Cet apprivoisement de la pomme de terre par son traitement à l’eau bouillante durant vingt minutes, c’est assez curieux (mais justement tandis que j’écris des pommes de terre cuisent — il est une heure du matin — sur le four­neau devant moi).
Il vaut mieux, m’a-t-on dit, que l’eau soit salée, sévère : pas obligatoire mais c’est mieux.
Une sorte de vacarme se fait entendre, celui des bouillons de l’eau. Elle est en colère, au moins au comble de l’in­quiétude. Elle se déperd furieusement en vapeurs, bave, grille aussitôt, pfutte, tsitte : enfin, très agitée sur ces char­bons ardents.
Mes pommes de terre, plongées là-dedans, sont secouées de soubresauts, bousculées, injuriées, imprégnées jusqu’à la moelle.
Sans doute la colère de l’eau n’est-elle pas à leur pro­pos, mais elles en supportent l’effet — et ne pouvant se déprendre de ce milieu, elles s’en trouvent profondément modifiées (j’allais écrire s’entrouvrent…).
Finalement, elles y sont laissées pour mortes, ou du moins très fatiguées. Si leur forme en réchappe (ce qui n’est pas toujours), elles sont devenues molles, dociles. Toute acidité a disparu de leur pulpe : on leur trouve bon goût.
Leur épiderme s’est aussi rapidement différencié : il faut l’ôter (il n’est plus bon à rien), et le jeter aux ordures…
Reste ce bloc friable et savoureux, — qui prête moins qu’à d’abord vivre, ensuite à philosopher. »

Francis Ponge
La pomme de terre 




ou écouter le texte dit par Michel Debray





lundi 21 août 2017

Mirbeau. La grève des électeurs






Ô bon électeur, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t'arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d'avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d'humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l'envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n'as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.



Octave Mirbeau

in La Grève des électeurs
1888

 





La Grève des électeurs est le titre d’une chronique, d’inspiration clairement anarchiste, d'Octave Mirbeau, parue le 28 novembre 1888 dans Le Figaro





ci-contre: O.Mirbeau