jeudi 26 octobre 2017

Jacqueline de Romilly




Delphine de Vigan écrit dans Rien ne s'oppose à la nuit : "Ma famille incarne ce que la joie a de plus bruyant, de plus spectaculaire, l'écho inlassable des morts, et le retentissement du désastre. Aujourd'hui je sais aussi qu'elle illustre, comme tant d'autres familles, le pouvoir de destruction du verbe, et celui du silence."



Le chef-d'oeuvre caché

de Jacqueline de Romilly


La grande helléniste avait consacré un livre à sa mère adorée. Et prié son éditeur de ne le publier qu'à sa mort. "Jeanne" paraît le 23 mars 2011.




Photos de g. à dr. : "Jeanne" a été écrit dans l'année qui suivit la mort de sa mère, en 1977 - Jacqueline de Romilly ne se séparait jamais de la photo de sa mère posée sur son bureau dans un petit cadre doré - Veuve, ­pauvre et intelligente, Jeanne Maxime-David - son nom de plume - se voulait ­ambitieuse pour sa fille Jacqueline. Elle devint une ­romancière très célèbre à son époque. 
© Jean-Régis Roustan / Roger-Viollet/DR




Longtemps, les lecteurs et admirateurs de Jacqueline de Romilly ont été avant tout ses auditeurs de la Sorbonne, puis du Collège de France, et la communauté internationale des hellénistes. Cela faisait déjà beaucoup de monde, d'autant que la précocité et le nombre de ses succès de jeune fille aux concours les plus ardus, ou jusqu'alors réservés aux garçons, avaient fait d'elle, dès avant la Seconde Guerre mondiale (elle était née en 1913), une vedette maintes fois photographiée d'un féminisme républicain, à une époque où celui-ci misait sur le mérite, et non sur les quotas.

En 1969, elle entra en croisade pour la sauvegarde de l'enseignement classique et des études grecques déjà marginalisés par la réforme Faure. Ses pamphlets (Nous autres professeurs,L'enseignement en détresse), ses livres de généreuse vulgarisation (Pourquoi la Grèce ?Une certaine idée de la GrèceAlcibiadeHector et, avant-hier encore, La grandeur de l'homme au siècle de Périclès), ses apparitions à la télévision où son charisme crevait l'écran firent d'elle une étoile de plus en plus éclatante. Amer triomphe, car ce civisme épuisant et l'immense sympathie qu'il suscita n'ébranlèrent pas le moins du monde nos princes successifs, persuadés par le Saint-Esprit hégélien que le progrès technique en marche se charge lui-même de l'éducation des jeunes générations. Elle tint bon, jusqu'à épuisement, voyant bien, sous l'alibi du réalisme, à quel lâche fatalisme elle avait à faire. (...) MARC FUMAROLI, DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE




Les premières lignes de "Jeanne"



"Jeanne au bracelet d'argent " : c'est ainsi qu'on l'appelait à cette époque, quand elle avait seize ou dix-sept ans. Je sais même d'où lui venait ce nom, et qui lui avait offert ce bracelet : un oncle le lui avait rapporté d'Indochine. J'imagine, connaissant les faibles moyens dont disposait sa famille, que ce bracelet, de provenance lointaine, devait être modeste. Sans cela, d'ailleurs, on ne le lui aurait pas laissé : quelque parente le lui aurait pris. Mais, malgré sa modestie, on prêtait attention au bijou, parce que, déjà alors, elle devait le porter avec cette fine coquetterie qui, toujours, attirait les hommes. Elle aimait plaire. Elle aimait l'élégance. Et que ne donnerais-je pour l'avoir entendue rire, alors, dans la grâce de ses seize ans !
C'est impossible, naturellement. Je ne l'ai pas connue alors. Je n'aurais pas pu : je suis sa fille - la fille de Jeanne au bracelet d'argent, ou plutôt de celle qui avait été Jeanne au bracelet d'argent. J'en suis donc réduite à l'imaginer, à partir de tout ce que j'ai su d'elle plus tard. J'ai aussi l'aide de ses photographies ; et beaucoup de photographies sont moins passées que nos souvenirs. Les photographies ne sont jamais prises dans les circonstances normales. Il s'agit de fêtes, de rencontres, de voyages. Mais sur toutes - à moins que ma connaissance de la suite ne me trompe - il me semble reconnaître, lié au charme et à la grâce, ce quelque chose d'irréductible, qui la distinguait entre toutes.





2 commentaires:

  1. Je vais acheter "Jeanne" si cet ouvrage se trouve encore ! Trop envie de partager encore quelque chose de J. de Romilly que j'ai toujours admirée.

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