lundi 23 octobre 2017

Trinh Xuan Thuan : "Nous sommes poussières d'étoiles"-"Nous ne sommes qu'un grain de sable dans l'océan cosmique"







L'astrophysicien consacre son dernier livre à la nuit. L'occasion d'une promenade avec lui dans le cosmos pour évoquer la science mais aussi la poésie et la métaphysique.
Trinh Xuan Thuan, professeur d'astronomie à l'université de Virginie, chercheur à l'Institut d'astrophysique de Paris, est aussi un vulgarisateur hors pair. D'origine vietnamienne, l'astrophysicien a pris la nationalité américaine il y a plus de quarante ans, mais il écrit depuis toujours en français (et vient d'ailleurs d'obtenir la nationalité française cet été). Son premier ouvrage, La Mélodie secrète, paru en 1988, avait connu un succès phénoménal. Son quinzième ouvrage, Une nuit , récit singulier richement illustré, vient de paraître aux Éditions de l'Iconoclaste.
Question: - Pourquoi un livre sur la nuit?
TRINH XUAN Thuan. - Je suis tombé amoureux du ciel étoilé lorsque j'avais 19 ans en accompagnant un de mes professeurs de physique à l'observatoire du mont Palomar, en Californie, pour un job d'été. Il y avait là-bas le plus grand télescope du monde à l'époque. Cela m'a fasciné. Après plus de quarante ans de carrière, j'éprouve toujours le même émerveillement, la même excitation intellectuelle. J'ai construit un rapport intime avec la nuit, avec le firmament.
Vous expliquez dans votre livre qu'il n'est pas si trivial que la nuit soit noire. Pourquoi?
«La question n'est pas de savoir si l'Univers est infini dans l'espace, mais dans le temps»

Dans un Univers statique et infini, il devrait y avoir des étoiles partout où le regard se pose. La nuit ne devrait donc pas être noire. Le ciel devrait toujours être illuminé, même lorsque le soleil se couche. C'est ce que l'on a appelé le paradoxe d'Olbers. De façon étonnante, c'est un poète, Edgar Allan Poe, qui a eu l'intuition géniale permettant de résoudre ce paradoxe. La question n'est pas de savoir si l'Univers est infini dans l'espace, mais dans le temps. Si la nuit est noire, c'est que la lumière des étoiles les plus lointaines n'a pas eu le temps de nous parvenir. La finitude de l'Univers dans le temps, confirmée par l'existence d'un commencement, le big bang, il y a 13,8 milliards d'années, permet de résoudre élégamment ce paradoxe.
Que ressentez-vous lorsque vous regardez les étoiles?
Certaines personnes, à l'image du philosophe Pascal, ressentent un vertige, un effroi, devant l'immensité de l'Univers. J'éprouve bien au contraire un sentiment très fort d'appartenance au cosmos, de connexion avec l'Univers. Ce qui est étonnant, c'est que, d'une certaine manière, la science a confirmé ce sentiment puisque nous sommes bien des poussières d'étoiles. Tous les atomes qui nous composent, le carbone, l'oxygène, l'azote, le phosphore et j'en passe, ont été produits au cœur des étoiles avant d'être dispersés dans l'Univers au moment de leur explosion. Nous portons tous en nous l'histoire cosmique. Il existe une interdépendance profonde entre l'homme et la nature.
Voyez-vous un dessein supérieur dans l'organisation de l'Univers?
«Tout ce qui compose l'Univers, nous compris, possède un début, une fin, une histoire. Nous ne sommes qu'un grain de sable dans l'océan cosmique»

Pour Aristote, l'immuabilité (apparente) du ciel était une nécessité: il s'agissait du domaine de Dieu, il devait être la perfection même. Or la perfection ne change pas. On sait aujourd'hui que les choses sont très différentes: les étoiles et les galaxies ne cessent de bouger, l'Univers de s'agrandir. Étant d'origine asiatique, imprégné de philosophie orientale et de bouddhisme, je vois dans ces mouvements du cosmos le reflet de l'impermanence des choses. Tout ce qui compose l'Univers, nous compris, possède un début, une fin, une histoire. Nous ne sommes qu'un grain de sable dans l'océan cosmique, que ce soit dans l'espace ou le temps.
Cela veut-il dire que nous n'avons pas de rôle privilégié?
Je ne crois pas que l'homme en tant que tel soit l'aboutissement de l'évolution de l'Univers. Mais je crois en revanche que tout est effectivement «réglé» d'une certaine façon pour que puisse apparaître la vie et émerger une forme de conscience, dont nous sommes le seul exemple que nous connaissions. Mais peut-être pas le seul. Il me semble en revanche possible que la vie et la conscience puissent, ou aient pu, émerger ailleurs ou à un autre moment. C'est ce que j'appelle «le principe anthropique fort». Le principe anthropique classique, qui consiste à dire que l'Univers est paramétré pour que nous existions pour la simple raison que nous existons, est à mon sens une tautologie sans grand intérêt…
Nous ne serions donc pas un pur accident dans l'histoire de l'Univers?
Lorsqu'on regarde la finesse avec laquelle il faut fixer les constantes cosmologiques pour que puissent naître les étoiles qui formeront des atomes complexes, par exemple, il est difficile de se dire qu'il s'agit d'un hasard. Certaines théories prévoient que toutes les combinaisons de paramètres existent et ont donné lieu à des univers parallèles. Nous serions dans le seul, ou l'un des seuls, qui autorisent notre existence. Ce modèle de «multivers» ne me convainc pas sur le plan métaphysique. Mais je suis scientifique: si l'on m'apportait un jour la preuve que les choses sont bien comme ça, je serais bien obligé de l'accepter.
«Dans les grandes villes comme Paris, il ne reste plus qu'une poignée d'étoiles. Moins de dix généralement. La pollution lumineuse a tout emporté. C'est une très grande perte pour l'humanité»

Vous continuez à regarder les étoiles pour le plaisir?
Je vais dès que je peux dans les grands observatoires, que ce soit sur le volcan Mauna Kea, à Hawaï, ou dans le désert d'Atacama au Chili, par exemple. Ce sont des lieux d'exception. On peut encore y observer des milliers d'étoiles, littéralement: environ 2500 à l'œil nu. Dans les grandes villes comme Paris, il ne reste plus qu'une poignée d'étoiles. Moins de dix généralement. La pollution lumineuse a tout emporté. C'est une très grande perte pour l'humanité.
Nous sommes-nous déconnectés du ciel?
C'est vrai que nous n'avons plus le besoin primaire de regarder les étoiles comme dans le passé, lorsque la voûte céleste servait de calendrier aux hommes. C'était alors une question de vie ou de mort: quand planter, quand récolter, etc. Mais aujourd'hui, même les jeunes astronomes ne regardent plus le ciel, pour la plupart. Comme ils peuvent effectuer leurs observations depuis leur ordinateur - ce qui est un grand progrès, je ne peux pas le contester -, peut-être n'en voient-ils plus l'intérêt? D'une certaine manière, nous avons perdu ce contact avec le cosmos, et je trouve ça regrettable.
Quels sont les grands mystères astronomiques que vous aimeriez voir résoudre dans les années à venir?
L'arrivée de nouveaux instruments, tels que le James Webb Space Telescope (JWST), qui va remplacer Hubble dans l'espace, ou l'Extremely Large Telescope (ELT) européen au sol, va révolutionner l'astronomie. Nous devrions pouvoir observer grâce à eux la formation et l'évolution des premières étoiles.
Pcc Tristan Vey 

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