samedi 9 décembre 2017

Jean d'O.


Durant un demi-siècle, il a posé sur le monde un regard passionné, défendant des idées avec brio et élégance, cherchant toujours à comprendre avant de juger, et célébrant inlassablement une civilisation dont il était le brillant héritier. Jean d’Ormesson ou l’esprit français.



Il y a deux sortes d’écrivains, ceux qu’on lit et ceux qu’on regarde comme un spectacle permanent.
Nous eûmes le privilège de beaucoup observer Jean d’O dans notre télé, durant ce demi-siècle passé. Il était l’invité préféré des plateaux et des émissions littéraires. Sacha Distel des bibliothèques, chouchou des librairies, cet inlassable VRP du Quai Conti promenait son regard bleu azur sur la laideur des temps incertains. En avance sur son époque, cet aristocrate des lettres avait compris, dès les années 1960, que la lecture pour tous passerait par le poste. Sans l’aura de cette satanée boîte noire, l’écrivain moderne irait droit en enfer.

Une élégance jamais prise en défaut

Il arrivait toujours frais et poli, une citation de Chateaubriand au revers de son veston, le verbe léger qui faisait oublier tout le reste et cette voix qui sifflait comme le vent s’engouffrant sur le Cap Gris-nez. Pivot était aux anges. Les téléspectatrices en pâmoison.Et nous autres pris dans son piège des mots tendres et des poses lascives. Au prétexte de faire lustrer les œuvres de Stendhal ou Proust, il réussissait l’exploit de ne parler que de lui.Orfèvre des médias, tacticien hors-pair, florentin jusque dans ses souliers en veau velours, nous nous délections de ce don inné pour la répartie aérienne, un art divin de la conservation et une élégance jamais prise en défaut, en soixante ans de carrière. Un exploit à méditer car tant de vaniteux finissent fatalement par sombrer.

Il écrivait à guichets fermés
Il semblait immunisé contre les blessures d’égo et les éternelles luttes de pouvoir. Trop fin et probablement trop désespéré pour en souffrir vraiment, Jean d’O était au-dessus des parties. Hors-sol, il ne s’appartenait plus. Ecrivain préféré des gens de gauche et de droite, des animatrices et des institutrices, il avait fait de Gallimard son Stade de France. Il écrivait à guichets fermés.
Il était arrivé à un tel point de notoriété que ses livres n’étaient plus lus, mais achetés frénétiquement, le rêve de toutes les professions aventureuses. Miracle, Saint Jean d’O vengeait, à sa façon, tous les auteurs en mal de reconnaissance. Au terme d’une existence remplie d’honneurs, il avait tout accumulé sur son passage, direction du Figaro, immortalité des bords de Seine et ventes à six chiffres, le grand public continuait à le vénérer.
Il mettait de la distance, de l’intelligence, de l’apesanteur sur les malheurs du moment. Et surtout il incarnait le bon goût dans une société exténuée. 

Les derniers mots au feutre bleu de Jean d’Ormesson ... fin de son manuscrit « un Hosanna sans fin » (mis en ligne hier soir par François Busnel après la Grande Librairie)
C'est ainsi que se terminera le dernier ouvrage de Jean d'Ormesson qui devait s'intituler  Un hosanna sans fin et qui sera publié après Et moi je vis toujours, prochainement (en février?) dans les rayons des librairies.




8 commentaires:

  1. Bel hommage pour l'homme au regard bleu.

    "Il arrivait toujours frais et poli, une citation de Chateaubriand au revers de son veston, le verbe léger qui faisait oublier tout le reste et cette voix qui sifflait comme le vent s’engouffrant sur le Cap Gris-nez."

    Oui, un voix friable, comme la roche du Cap Gris-nez; mais avec cette puissante et inaltérable fierté de la langue, O ma patrie ! Ce panache du style et cet art des conversations qui défient la grisaille des jours et l'usure des temps. Comme la falaise l'Océan.


    Une élégance française.

    Un contemporain des Lumières, égaré dans un siècle de doctrinaires assoiffés d'absolu, souvent incultes, et pour beaucoup inaccessibles à la musique que rend la beauté.

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  2. « Hors-sol » ? Cette « novlangue » agricole, digne d’une dystopie orwellienne, est, certes, très en vogue dans les milieux z’autorisés où tous les modes de production se valent, il n’en demeure pas moins que la Culture (même en jachère) n’est pas l’agriculture. Parfois, j’en arrive à me demander s’il ne vaudrait pas mieux recruter nos politiques à la sortie de l’Ecole Normale, plutôt (pas le chien de Mickey !) qu’à la sortie de l’ENA ?
    De fait, on ne comprend que couic à ce : "Hors-sol, il ne s’appartenait plus.". Koi tesse ke sa voeux dhir ???

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    1. Joli missile ! chère Aukazou. Quelle attention que la vôtre !


      «Hors-sol» est pathologiquement parlant plus grave que «déconnecté» ou «à l'ouest», etc.

      Nous ne cédons certes pas facilement aux modes langagières, mais l'expression «hors-sol» nous plaisait, elle est très parlante, imagée et nous l’avons utilisé pour parler, exclusivement, d’un homme tellement au dessus du lot; en effet, nous n’avons parmi nos connaissances que des gens dont nous ne pourrions dire qu'ils sont « hors-sol »: oui, ceux-là prennent les transports en commun quotidiennement, bouclent difficilement leurs fins de mois, ont peur pour l'avenir de leurs enfants, craignent de perdre leur emploi, de ne pas toucher leur retraite ou de ne plus la toucher, s'inquiètent pour leurs enfants ou pour leur épouse qui rentrent tard, etc.

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    2. Ah oui, en effet, quelle horreur ! Comment peut-on prendre quotidiennement les transports en commun, boucler difficilement ses fins de mois, et avoir peur pour l'avenir de ses enfants ? C'est d'un médiocre ! ;-)
      Comme disait mon pote Einstein qui, sans rien connaître aux mineures relatives (quelle faute d'éducation !) n'en est pas moins l'inventeur de la théorie de la relativité :

      " Une vie tranquille et modeste apporte plus de joie que la recherche du succès, qui implique une agitation permanente. "

      Ps : Pour ma part, il ne s'agissait aucunement d'un missile, tout au plus d'une allergie ... pour ma part ! ;-)

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  3. Rectif :Où tous les modes de production se Valls !

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  4. Jean d'O. aurait certes eu l'élégance de paraître amusé par les flèches aukaziennes.
    "En passant" m'a devancée dans ce que j'aurais aimé dire ici.
    J'ajoute juste que pour ma part, la lecture des livres de Jean d'O. fut, pardon, EST agréable mais, oubliable. Ses prestations médiatiques en revanche, m'ont laissé de durables traces.

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  5. R.Cavalié.
    Bien d'accord. Est parfaitement maitrisé, et quelquefois mémorable, l'art de la conversation audio ou télévisuelle .
    Pour ce qui est de l'écrit, j'attends qu'on m'indique où sont les ruissellements du château d'O.

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    1. "Pour ce qui est de l'écrit, j'attends qu'on m'indique où sont les ruissellements du château d'O." dites-vous.
      Avez-vous lu Casimir mène la grande vie, Garçon de quoi écrire, La douane de mer, Histoire du Juif errant,
      Presuqe rien sur presque tout etc. etc. ?

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