mardi 17 avril 2018

La foi en l’Homme : tel est le "Ce que je crois" de Jacqueline de Romilly


Jacqueline Worms de Romilly, helléniste, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et de l’Académie française
© Louis Monier



L’homme conservera-t-il la liberté qui conditionne l’humanisme moderne ? 

"Ce que je crois" est un livre écrit par Jacqueline de Romilly dans les années qui suivirent les événements de mai 1968. Au malaise qui envahit alors notre société, cette grande dame de l’Académie Française oppose le remède d’une vie consacré aux textes de la Grèce ancienne et à leur enseignement. Elle y puise encore ses raisons d’aimer la vie. 

Nous sommes dans les années soixante-dix, au lendemain des événements de mai 68. Jacqueline de Romilly, est alors professeur à la Sorbonne (elle entrera à l’Académie Française en 1989). Portant son regard sur une société en crise elle écrit « Ce que je crois ». Son livre ne sera publié qu’en 2012 après qu’elle s'est éteinte en 2010. Son témoignage sur l’après 68 apporte le recul d’une vie consacrée à la civilisation de la Grèce antique et à sa littérature. 

Il faut sauver le soldat Thucydide

Jacqueline de Romilly avait fait sa thèse de doctorat sur Thucydide, le grand historien grec ayant vécu et relaté la guerre du Péloponnèse. Il occupe à ses yeux une place privilégiée et compte parmi les écrivains qui lui ont conservé une assise morale dans les périodes difficiles qu’elle a traversées. Il fut, à ses yeux, le premier à s’efforcer de comprendre : « Si chacun dans son métier, dans son domaine, s’efforçait de comprendre, de voir ce qui va mal, de trouver mieux, peut-être le monde craquerait-il moins » écrit-elle. Voilà bien l’idéal à sauver, cet effort loyal et obstiné pour comprendre. Il engage notre liberté plus encore que l’opposition entre le bien et le mal car il confronte chaque instant de l’esprit à une lutte entre lucidité et passivité. 

Un humanisme moderne 

Les connaissances évoluent, en champ de vision, et en profondeur, en complexité. Le temps n’est plus où, dans l’indivis du savoir, les sciences encore jeunes pouvaient s’unir et se combiner. Or « Vouloir comprendre exige que tout se tienne, comme dans la pensée platonicienne, et que la science n’aille pas sans une morale, une esthétique, une métaphysique. » 
L’important est d’en conserver l’idéal, ne serait-ce que pour tendre vers cette unité perdue. Plus encore que la lutte entre le bien et le mal, l’obstination à comprendre requiert à chaque instant un engagement de notre liberté, car à chaque instant, elle nous place devant le choix d’abandonner ou de poursuivre l’effort. Pour Jacqueline de Romilly, elle se confond avec « l’humanisme moderne qui est, en définitive, une morale de la liberté. » 


Les nouveaux dangers 


Les découvertes sur l’inconscient ont montré les limites de la lucidité. De son côté la nouvelle donne du matérialisme historique jette une ombre sur la capacité de jugement. Cela se passe à un moment où l’individu est de plus en plus soumis à la pression des groupes. 
Face à de tels risques, Jacqueline de Romilly s’interroge : l’homme va-t-il pouvoir tenir bon, sauvegarder son autonomie, l’exercice de la liberté, tout ce qui, selon elle, conditionne un humanisme moderne ? 


Au-delà du savoir : la lumière

Nous sommes en deuil de la belle unité que proposait le savoir grec. Au moins devons-nous le garder comme modèle. Notre science est chaque jour contrainte de se remettre en question. Elle court après une grande unification qu’elle n’atteindra sans doute jamais. C’est pourtant ce qui la fait avancer : en avoir sauvegardé l’ambition. Voilà déjà ce que nous retenons de ce crédo. Non pas l’adhésion à un savoir ancien, aujourd’hui balayé par notre savoir moderne, mais une foi en l’homme, en sa vocation de comprendre ; même si cette démarche voit indéfiniment son horizon se dérober ; même si, indéfiniment, de nouvelles incohérences imposent de nouvelles révisions ou font surgir de nouvelles disciplines. 


Telle que nous l’avons héritée du monde grec, nous devons conserver cette foi en l’homme. Elle n’est pas de l’ordre du savoir, elle le précède. Pas plus que les conquêtes du savoir ne doivent nous griser – comme au temps du rationalisme triomphant –, ses tâtonnements et ses échecs ne doivent nous faire douter. Le savoir est moins important que cette marche vers le savoir et l’aspiration dont elle est porteuse. Jacqueline de Romilly rapproche Platon rêvant « la vie de l’âme séparée du corps et admise à la contemplation des mystères divins » et la foi de François Mauriac lorsqu’il écrit « Moi aussi je crois à la lumière ». Et de conclure : « Je sais – je sais même très bien ! – que les hommes sont loin d’être admirables. Je sais aussi – et d’expérience – que la vie n’a en général rien de resplendissant. Mais si cette lumière existe, sous une forme ou sous une autre, dans une vie ou bien une autre, je crois, très fermement, que cela rachète bien des choses. » 




3 commentaires:

  1. La vraie question, aujourd’hui, est de savoir quelle place le transhumanisme entend faire à l’humanisme d’ici peu ?

    En 2045, j’aurai 80 ans. Serais-je encore en vie ? Nul ne le sait, mais statistiquement il y a de grosses probabilités pour que ce soit le cas. Personnellement, je m’en fous : je suis catholique. Dieu merci ! Mais admettons qu’à l’âge vénérable de 80 ans, je sois encore de ce monde (si ce monde existe toujours …). Si je le suis effectivement, alors il y a de fortes chances que je devienne éternelle. En effet, la progression de l’intelligence artificielle est extrêmement rapide et sans limites. Nous n’appartiendrons plus au genre humain (cette espèce ayant vocation à disparaître) mais au genre transhumain : à savoir un esprit dans un corps augmenté, hybride et réparable. Nos neurones seront alors aux commandes de la machine de notre corps (mi-humain/mi-robot). Nous ne serons plus soumis à la dégradation du temps, ni à la maladie, ni même à la gravité. Mais ce n’est qu’une étape. Le transhumanisme laissera progressivement place au « non-humain » à savoir une intelligence totalement artificielle, dans un corps totalement artificiel : bref ! une société de robots qui nous aura détruits non par méchanceté, mais parce que le peu d’humain qui restera en nous apparaîtra comme une imperfection, un produit mal conçu qu’il s’agit de retirer de la circulation.

    Dans cette société miraculeuse, nous n’aurons plus d’enfants puisque nous ne mourrons pas. Aurons-nous encore de l’empathie, de l’amour, des émotions, de l’espoir, des projets (futiles, j’entends) ? Qu’en sera-t-il de la spiritualité, ou de ce que d’autres appellent l’humanisme au sens montanien du terme ?

    Qui voudrait d’une société pareille, vous-dites-vous peut-être, à part des fous ? Eh bien, Sundar Pichai, le patron de Google, veut de cette société là et nous l’imposera et il en a les moyens ! Et à sa suite, des tas de gens comme lui. Personnellement, je souhaite tirer ma révérence avant car la vie éternelle sans la spiritualité, ça s’appelle l’enfer !

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  2. PS : L'immortalité signera la fin du temps, c'est le but. Sauf que pour nous, chrétiens, la fin des temps, on sait que c'est, et c'est pas bon signe ... ;-) Mieux vaut partir avant. De l'Apocalypse de Jean, je me souviens de peu de choses mais me revient en tête cette phrase : les hommes voudront mourir mais ils ne le pourront pas. Ben non, ils ne le pourront plus. C'est ballot !

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  3. @Aukazou
    Merci d'avoir pris le temps de rédiger ce commentaire éclairant.

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