vendredi 28 avril 2017

Il y a 80 ans, Picasso peignait fiévreusement « Guernica »







Pablo Picasso,  photographié par Dora Maar, debout sur un escabeau peignant « Guernica », dans l’atelier de l’hôtel de Savoie, à Paris, en mai-juin 1937. RMN. Succession Picasso 2017. Transmis par ADAGP



En ouvrant le journal L’Humanité du 28 avril 1937, Picasso découvre, horrifié, les photos de la ville basque de Guernica réduite en cendres par le bombardement des avions allemands et italiens deux jours plus tôt. Il passe commande d’une toile de près de 8 mètres de long par 3,5 de haut, à un artisan catalan qu’il a connu en Espagne : Antonio Castelucho. Celui-ci tient boutique au 16 de la rue de la Grande-Chaumière, dans le 6e arrondissement de Paris, près du quartier Montparnasse. Son échoppe, tout en contrastes clair-obscur, est chérie des peintres espagnols exilés à Paris. C’est là que commence l’histoire de Guernica, dont on célébrera en mai le 80e anniversaire.
Les Castelucho sont les premiers marchands d’art à s’être établis dans cette rue qui, au milieu du XXe siècle, en comptera jusqu’à cinq. « À cette époque, le tout-Paris des artistes était descendu de Montmartre vers la rive gauche et Montparnasse. La rue de la Grande-Chaumière était la plus concentrée d’Europe en boutique de beaux-arts. Il y avait Castelucho, Gattegno, Morin et Janet, Chautard et la maison Sennelier », la seule encore ouverte aujourd’hui, se souvient Dominique Sennelier, petit-fils du fondateur. De nombreux artistes, comme Paul Gauguin ou Amedeo Modigliani, ont habité là, installant leurs ateliers dans les arrière-cours discrètes des appartements de l’avenue.


« La plupart des artistes ont été chassés par la spéculation immobilière à partir des années 1960 », regrette Sennelier. La boutique d’Antonio Castelucho a résisté un peu plus longtemps. Jusqu’à ce que sa fille, sans héritier, se résolve à la céder, au début des années 1980, à un ami catalan qui fit rapidement péricliter l’affaire. Différents entrepreneurs ont ensuite racheté le magasin, devenu restaurant, cultivant plus ou moins l’histoire du lieu. Si « très peu d’archives ont été conservées » de cette période de foisonnement artistique, « les légendes sont encore vivaces dans la rue », jure-t-on à l’académie de la Grande Chaumière, campée au numéro 14, où des peintres iconiques sont venus pratiquer leur art.
« À peine ai-je le temps de fixer une première partie de la toile que Picasso grimpe sur un escabeau et commence à dessiner. » Jaime Vidal, apprenti chargé de livrer la toile chez le peintre
Parmi ces légendes, celle que Jaime Vidal, l’apprenti de Castelucho, raconta à L’Humanité bien des années après Guernica. C’est lui qui, en 1937, est chargé de la livraison du matériel commandé par Picasso. L’artiste espagnol vient alors d’investir les deux derniers étages du mythique hôtel de Savoie, au 7 de la rue des Grands-Augustins, où Jacques Prévert et Jean-Louis Barrault réunirent leurs compagnies de théâtre au début des années 1930. Picasso a installé son atelier au grenier.
Son fourbi sous le bras, Vidal débarque un matin de la mi-mai, à dix heures : « J’étais persuadé d’être trop matinal. Picasso, déjà levé et surexcité, me demande pourquoi j’arrive si tard et me passe une engueulade. Nous déroulons la toile, la tendons puis la clouons à un châssis. À peine ai-je le temps de fixer une première partie de la toile qu’il grimpe sur un escabeau et commence à dessiner ». Sous les toits parisiens, Picasso boucle en trois semaines le monumental Guernica.

Ce grenier, d’où est sortie en 1937 la plus célèbre des 120 000 œuvres de Picasso, est aujourd’hui menacé. La chambre des huissiers de justice de Paris (CHJP) souhaite faire de l’hôtel de Savoie, dont elle est propriétaire, une résidence hôtelière de luxe gérée par la société Helzear. Le grenier deviendrait une chambre et, en contrepartie, un espace consacré à la vie et à l’œuvre de Picasso serait installé au rez-de-chaussée. Opposé à ce projet, le Comité national pour l’éducation artistique (CNEA) se bat pour que l’endroit reste accessible à un large public et propose de conserver l’espace culturel ouvert dans le grenier en 2002, qui proposait ateliers pour enfants, expos et concerts afin de faire vivre le lieu.



texte de ©A.Marie
pour LeMonde.fr

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