mardi 12 avril 2016

BAUDELAIRE. L'Héautontimorouménos





L'héautontimorouménos

A J. G. F.

Je te frapperai sans colère 
Et sans haine, comme un boucher, 
Comme Moïse le rocher ! 
Et je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon Saharah, 
Jaillir les eaux de la souffrance. 
Mon désir gonflé d'espérance 
Sur tes pleurs salés nagera

Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront 
Tes chers sanglots retentiront 
Comme un tambour qui bat la charge !

Ne suis-je pas un faux accord 
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie 
Qui me secoue et qui me mord ?

Elle est dans ma voix, la criarde ! 
C'est tout mon sang, ce poison noir ! 
Je suis le sinistre miroir 
Où la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue, 
Et la victime et le bourreau !

Je suis de mon coeur le vampire, 
- Un de ces grands abandonnés 
Au rire éternel condamnés, 
Et qui ne peuvent plus sourire !


Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal,
Spleen et idéal

L'Héautontimorouménos:  le titre grec signifie littéralement « bourreau de soi-même » et reprend le titre d'une pièce du dramaturge latin Térence. 
Nous avons déjà signalé que nous nous abstenons de tout commentaire sur Baudelaire tant sa poésie est forte et nous empêche. On dira à tout le moins qu'à travers ce poème Baudelaire illustre magistralement sa propre détestation!...





..."Et la victime et le bourreau !"...


Giulia Andreani
Salomé, 2014
aquarelle sur papier


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci d'utiliser cet espace pour publier vos appréciations.