L'héautontimorouménos
A J. G. F.
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !
Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Saharah,
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d'espérance
Sur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?
Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon coeur le vampire,
- Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire !
Charles Baudelaire
Les Fleurs du Mal,
Spleen et idéal
L'Héautontimorouménos: le titre grec signifie littéralement « bourreau de soi-même » et reprend le titre d'une pièce du dramaturge latin Térence.
Nous avons déjà signalé que nous nous abstenons de tout commentaire sur Baudelaire tant sa poésie est forte et nous empêche. On dira à tout le moins qu'à travers ce poème Baudelaire illustre magistralement sa propre détestation!...
..."Et la victime et le bourreau !"...
Giulia Andreani
Salomé, 2014
aquarelle sur papier
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