jeudi 26 avril 2018

Théophile Gautier. Carnaval






Carnaval 



Venise pour le bal s'habille. 
De paillettes tout étoilé, 
Scintille, fourmille et babille 
Le carnaval bariolé. 

Arlequin, nègre par son masque, 
Serpent par ses mille couleurs, 
Rosse d'une note fantasque 
Cassandre son souffre-douleurs. 

Battant de l'aile avec sa manche 
Comme un pingouin sur un écueil, 
Le blanc Pierrot, par une blanche, 
Passe la tête et cligne l'oeil. 

Le Docteur bolonais rabâche 
Avec la basse aux sons traînés; 
Polichinelle, qui se fâche, 
Se trouve une croche pour nez. 

Heurtant Trivelin qui se mouche 
Avec un trille extravagant, 
A Colombine Scaramouche 
Rend son éventail ou son gant.

Sur une cadence se glisse 
Un domino ne laissant voir 
Qu'un malin regard en coulisse 
Aux paupières de satin noir. 

Ah! fine barbe de dentelle, 
Que fait voler un souffle pur, 
Cet arpège m'a dit : C'est elle ! 
Malgré tes réseaux, j'en suis sûr, 

Et j'ai reconnu, rose et fraîche, 
Sous l'affreux profil de carton, 
Sa lèvre au fin duvet de pêche, 
Et la mouche de son menton. 





Théophile Gautier 

In Émaux et Camées

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