mardi 15 septembre 2020

Meurtre, domination et adultère: la vie secrète des marmottes




Parce que c'est l'été, voici un sujet 
-peu poétique- de... délassement.










Ce petit mammifère alpin vit en clans dirigés par un unique couple reproducteur, et la compétition est féroce.

«Pas plus tard qu’aujourd’hui, nous avons assisté à deux meurtres.» Aurélie Cohas, écologiste du comportement au Laboratoire de biométrie et biologie évolutive de l’université Claude-Bernard Lyon-I, n’y va pas par quatre chemins: la marmotte n’est pas aussi charmante qu’elle en a l’air. Disons-le tout de suite, c’est un animal franchement violent, à des années-lumière de l’image de la petite peluche montagnarde à laquelle elle est souvent associée.






Cela fait maintenant trois ans que la chercheuse, en partenariat avec l’Université autonome de Barcelone, dirige ce projet et scrute 90 groupes familiaux de marmottes alpines (Marmotta marmotta) répartis dans trois zones entre le col du Lautaret (2 058 m) et le col du Galibier (2 645 m). C’est la seule campagne d’observation des marmottes en Europe actuellement. «Nous les capturons à l’aide de pièges, puis nous les marquons avec des puces pour pouvoir les identifier», détaille Aurélie Cohas lors d’une conférence de presse improvisée dans les bâtiments du Jardin du Lautaret, en lieu et place de la visite de terrain annulée pour cause d’orage. «Notre objectif, c’est de mesurer leur évolution démographique.»




Ce suivi est très coûteux en ressources humaines. Une dizaine de stagiaires sont mobilisés pendant les campagnes d’observation. Les infrastructures du Jardin du Lautaret, une des antennes de la station alpine Joseph-Fourier (unité mixte de recherche CNRS/université Grenoble Alpes) servent de camp de base. Certains reviennent choqués en découvrant de leurs propres yeux les mœurs violentes de leur objet d’étude. Avec ses incisives tranchantes et sa mâchoire surpuissante, la marmotte n’est pas simplement un paisible herbivore, c’est aussi une machine à tuer. «Elles peuvent briser la nuque de leurs congénères d’un simple coup de dents», rappelle la chercheuse.


Le parterre de journalistes, invités par le département des Hautes-Alpes à découvrir les recherches scientifiques menées sur le territoire, est stupéfié. Les habitants de la région qui encadrent ce voyage de presse ne sont pas moins sous le choc que les citadins de ce groupe hétéroclite. Cette gentille petite boule de poils? Une tueuse sanguinaire? Vous n’êtes pas sérieux? «Ah je vous assure, ce sont des animaux assez impitoyables», poursuit Aurélie Cohas. «Nous avons déjà vu des marmottes lapider leurs congénères ou se faire enterrer vivantes.» Ah, tout de même. Mais pourquoi tant de violence?

«Avec le réchauffement, la couche neigeuse disparaît plus tôt. Paradoxalement, cela veut dire qu’il peut faire plus froid dans les terriers car la neige est un bon isolant»




«Les marmottes vivent en groupes familiaux. Et au sein de chaque clan, seul le couple dominant peut se reproduire», détaille la chercheuse. Ce qui explique la zizanie. Si les autres individus veulent procréer, ils n’ont que deux options: devenir calife à la place du calife ou partir tenter leur chance chez le voisin. En effet, les terriers sont rares (certains sont plus que centenaires) et construire un nouveau réseau de galeries ex nihilo demande beaucoup trop d’efforts. Le plus simple reste donc de déloger un dominant, puis d’exterminer tous les individus du même sexe avant de s’accoupler avec le veuf ou la veuve. Les jeunes mâles partent souvent en fratrie pour optimiser leurs chances de victoire. En cas de succès, une bataille acharnée entre frères s’ensuivra. Il ne pourra en rester qu’un, et le fratricide n’est pas exclu.

«Nous avons l’impression que cela ne va pas aller en s’arrangeant», souligne Aurélie Cohas. «Avec le réchauffement, la couche neigeuse disparaît plus tôt. Paradoxalement, cela veut dire qu’il peut faire plus froid dans les terriers car la neige est un bon isolant.» Les subordonnés préfèrent donc s’en aller: cela leur coûte trop d’énergie de réchauffer régulièrement les petits pour les aider à sortir de leur phase d’hibernation. Quitte à dépenser toute leur énergie et à mettre leur vie en danger, certains préfèrent tenter leur chance ailleurs. Cette fragmentation progressive des familles risque d’augmenter les conflits territoriaux. Cela pourrait aussi avoir une incidence sur l’évolution des effectifs. «Une marmotte alpine ne peut pas hiberner seule, prévient Aurélie Cohas. Lorsque des jeunes quittent le terrier familial, ils doivent impérativement avoir réussi à fonder un clan avant l’hiver. Sinon, c’est la mort assurée.»

On pourrait se consoler en se disant qu’à défaut d’être gentilles, les marmottes sont au moins fidèles en amour. Las, ce n’est pas vraiment le cas.


Rappelons que l’hibernation n’est pas de tout repos. Une marmotte ne dort pas du tout quand elle hiberne. Son métabolisme est certes très ralenti et sa température corporelle très basse (jusqu’à 4 °C), mais son activité cérébrale n’est pas celle d’un sommeil réparateur. Or le sommeil est indispensable, car il permet au cerveau de se réorganiser et d’évacuer les toxines qui s’y accumulent. Il est donc impératif pour les marmottes en hibernation de sortir régulièrement de leur état cataleptique… pour dormir un peu!

On pourrait se consoler en se disant qu’à défaut d’être gentilles, les marmottes sont au moins fidèles en amour. Las, ce n’est pas vraiment le cas. Lorsque les ressources sont très abondantes, un mâle peut choisir de s’accoupler avec une deuxième femelle. «Ce n’est pas très courant, mais cela arrive», confirme la chercheuse. Et les femelles ne sont pas en reste. «Il n’est pas si rare qu’une marmotte dominante aille discrètement voir ailleurs», sourit Aurélie Cohas. Elle se laisse alors courtiser par les mâles «en dispersion»: pas assez forts pour avoir établi leur propre clan, mais suffisamment courageux pour avoir quitté le nid. À défaut de survivre à l’hiver, elles auront au moins pu transmettre leur patrimoine génétique. Chez les marmottes aussi, la fortune sourit aux audacieux.


Pcc. Tristan Vey 



Et bien entendu les marmottes de France 3 restent un monument d'humour..
 






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