dimanche 24 janvier 2016

Jean d'Ormesson. Je dirai malgré tout que cette vie fut belle. (dernier vers du poème d'Aragon "Que la vie en vaut la peine")




Pour se défendre dans un procès qu’il s’intente à lui-même, J. d'O. fait défiler au galop un passé évanoui. Il va de l’âge d’or d’un classicisme qui règne sur l’Europe à l’effondrement de ce «monde d’hier» si cher à Stefan Zweig. De Colbert, Fouquet, Bossuet ou Racine à François Mitterrand, Raymond Aron, Paul Morand et Aragon. 

Mais les charmes d’une vie et les tourbillons de l’histoire ne suffisent pas à l’accusé : 


«Vous n’imaginiez tout de même pas que j’allais me contenter de vous débiter des souvenirs d’enfance et de jeunesse? Je ne me mets pas très haut, mais je ne suis pas tombé assez bas pour vous livrer ce qu’on appelle des Mémoires.» 



Les aventures d’un écrivain qui a aimé le bonheur et le plaisir en dépit de tant de malheurs cèdent peu à peu la place à un regard plus grave sur le drame qui ne cesse jamais de se jouer entre le temps et l’éternité, et qui nous emportera.





Pour lire des extraits sur Google Livres, on cliquera ici


Mais revenons un instant au poème d'Aragon Que la vie en vaut la peine


C'est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit
Ces moments de bonheur ces midis d'incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes.



Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit
D'autres viennent. Ils ont le cœur que j'ai moi-même
Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime
Et rêver dans le soir où s'éteignent des voix.

D'autres qui referont comme moi le voyage
D'autres qui souriront d'un enfant rencontré
Qui se retourneront pour leur nom murmuré
D'autres qui lèveront les yeux vers les nuages.

II y aura toujours un couple frémissant
Pour qui ce matin-là sera l'aube première
II y aura toujours l'eau le vent la lumière
Rien ne passe après tout si ce n'est le passant.

C'est une chose au fond, que je ne puis comprendre
Cette peur de mourir que les gens ont en eux
Comme si ce n'était pas assez merveilleux
Que le ciel un moment nous ait paru si tendre.

Oui je sais cela peut sembler court un moment
Nous sommes ainsi faits que la joie et la peine
Fuient comme un vin menteur de la coupe trop pleine                       
Et la mer à nos soifs n'est qu'un commencement.

Mais pourtant malgré tout malgré les temps farouches
Le sac lourd à l'échine et le cœur dévasté
Cet impossible choix d'être et d'avoir été
Et la douleur qui laisse une ride à la bouche.

Malgré la guerre et l'injustice et l'insomnie
Où l'on porte rongeant votre cœur ce renard
L'amertume et Dieu sait si je l'ai pour ma part
Porté comme un enfant volé toute ma vie.

Malgré la méchanceté des gens et les rires
Quand on trébuche et les monstrueuses raisons
Qu'on vous oppose pour vous faire une prison
De ce qu'on aime et de ce qu'on croit un martyre.

Malgré les jours maudits qui sont des puits sans fond
Malgré ces nuits sans fin à regarder la haine
Malgré les ennemis les compagnons de chaînes
Mon Dieu mon Dieu qui ne savent pas ce qu'ils font.

Malgré l'âge et lorsque, soudain le cœur vous flanche
L'entourage prêt à tout croire à donner tort
Indifférent à cette chose qui vous mord
Simple histoire de prendre sur vous sa revanche.

La cruauté générale et les saloperies
Qu'on vous jette on ne sait trop qui faisant école
Malgré ce qu'on a pensé souffert les idées folles
Sans pouvoir soulager d'une injure ou d'un cri.

Cet enfer Malgré tout cauchemars et blessures
Les séparations les deuils les camouflets
Et tout ce qu'on voulait pourtant ce qu'on voulait
De toute sa croyance imbécile à l'azur.

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle
Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici
N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci
Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

Louis ARAGON 
Les yeux et la mémoire – Chant II – 1954 -


Ainsi notre cher comte Jean Bruno Wladimir François de Paule Le Fèvre d'Ormesson, fils d'ambassadeur, est-il né en 1925 à Paris. Normalien et agrégé de philosophie, il est l'auteur de trente-cinq livres dont La Gloire de l'Empire, son premier grand succès, Au plaisir de Dieu, Histoire du Juif errantLa Douane de mer ou encore La Conversation, récemment adapté au théâtre. 

Il a de facto emprunté trois vers majeurs du poème d'Aragon, les deux premiers :

C'est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit

et le dernier:

    Je dirai malgré tout que cette vie fut belle.

pour titrer ses trois derniers livres. On reconnaitra- là un choix judicieux.



***
Anecdote:


Valls chez Ruquier : d'Ormesson pensait que l'invité était "l'ambassadeur du Népal"!

Manuel Valls et Jean d'Ormesson étaient tous les deux invités d'"On n'est pas couché" samedi. Mais l'écrivain ne pensait pas y rencontrer le Premier ministre.

"Non seulement je suis abruti, mais je suis sourd !" C'est avec amusement que Jean d'Ormesson a raconté une anecdote à propos des invités de l'émission "On n'est pas couché", diffusée samedi soir, 16 janvier 2016. L'écrivain a profité d'être invité dans "Il n'y en a pas deux comme elle" mardi, une émission de la radio Europe 1, pour faire sa confidence. Lorsqu'on lui a annoncé les autres invités qui l'accompagneraient sur le plateau d'"On n'est pas couché", l'académicien a compris que c'était l'ambassadeur du Népal qui était invité au lieu de... Manuel Valls. C'est l'éditeur de l'écrivain qui a soulevé le quiproquo plus tard.


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