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Un article d' Éric Verhaeghe
Alors que de nouveaux chiffres du chômage tombent ce jeudi, Éric Verhaeghe note que François Hollande a mis en place durant son quinquennat une doctrine malthusienne de l'emploi : moins on recrute, mieux on se porte.
Encore une cérémonie du chômage et de ses chiffres, ce soir! L'homélie rituelle peut recommencer, avec la tension qu'on lui connaît, puisque François Hollande avait subordonné sa candidature à une amélioration des courbes. Si l'on en croit les rumeurs qui enflent dans Paris, les chiffres doivent être bons, puisque Hollande annoncerait sa candidature le 1er décembre et tiendrait son premier meeting de campagne le 10, à Paris, dans le 18e arrondissement.
Un vrai livre noir du chômage
Hollande pourra, de toute façon, tordre les statistiques dans tous les sens, et détourner l'attention avec toutes les confidences du monde auprès de tous les journalistes de la presse francophone qu'il voudra, le seul livre qu'il est légitime à écrire est le livre noir du chômage sous son quinquennat.
Rappelons que lorsqu'il arrive au pouvoir, la France compte un peu moins de 3,2 millions de demandeurs d'emploi en catégorie A. Elle en compte aujourd'hui près de 3,8 millions. Les cinq ans du quinquennat Hollande ont constitué un choc de 600.000 demandeurs d'emploi en plus. L'inversion de la courbe ne suffira jamais à faire oublier ce cataclysme.
Parlons, si l'on préfère, des chômeurs indemnisés. Durant le temps du quinquennat, ils sont passés de 2,3 millions à 2,8 millions. 500.000 personnes indemnisées en plus, alors que le nombre de mises en stage explose, dont le principal objet est de cacher le chômeur sous le tapis statistique.
Hollande, l'homme qui ne comprenait rien au chômage
Personne ne sera au demeurant surpris par la déroute française en matière de chômage. Pendant que tous nos voisins du Nord faisaient régresser le fléau dans leur pays, la France élisait un ancien haut fonctionnaire devenu professionnel de la politique à sa tête, un homme pour qui le chômage est un chapitre dans un manuel d'économie ingurgité avant le grand oral de l'ENA, entre le chapitre «politique monétaire» et le chapitre «politique énergétique».
Quand on est dirigé par quelqu'un qui n'a jamais de sa vie recruté la moindre personne, sauf des fonctionnaires financés par l'impôt, on ne se surprend pas à contempler le désastre dans sa politique en matière d'emploi. Hollande fait en effet partie de cette caste d'énarques qui croient que ce sont les politiques publiques qui créent l'emploi, et qui peuvent tout en général.
Or, pour lutter contre le chômage, il faut un Président qui comprenne que les principaux acteurs de la bataille de l'emploi, ce sont les chefs d'entreprise qui recrutent, et non Pôle Emploi ou les acteurs de la formation professionnelle.
Hollande ou le malthusianisme en matière d'emplois
De façon assez curieuse, et pour ainsi dire suicidaire, Hollande a donc, en 2013 lié son destin à une courbe du chômage qu'il a savamment fait monter par une série de tortures chinoises extrêmement raffinées.
Par exemple, François Hollande a concédé à la CFDT de multiples dispositifs bureaucratiques qui sont autant de tue-l'emploi et de trappes à chômage. Le compte pénibilité en est une superbe illustration. Il faudrait lui demander de le remplir chaque jour pour les collaborateurs de l'Elysée (coiffeur à 10.000 euros par mois compris) pour qu'il comprenne que cette invention est impraticable et participe des bonnes raisons que peut avoir une entreprise de quitter la France.
Par exemple, François Hollande n'a toujours pas réformé le mode du financement de notre sacro-sainte sécurité sociale, dont plus du tiers des ressources est apporté par les cotisations patronales. Nous sommes le seul pays industrialisé à pratiquer des charges patronales aussi élevées. Le message qui est envoyé de cette manière est simple: recruter, c'est une faute qu'il faut expier en payant une amende mensuelle massive.
On pourra faire toutes les baisses de charges, tous les crédits d'impôt que l'on voudra, le seul symbole demeure: qui recrute est en faute.
Bref, Hollande a, durant son quinquennat mis en place une doctrine malthusienne de l'emploi: moins on recrute, mieux on se porte. Et on s'étonne, dans ces conditions, que le pire survienne…
L'immobilisme en matière éducative est une bombe à retardement
Hollande ne s'est d'ailleurs pas contenté de sinistres pendant son mandat. Il a organisé la défenestration économique de son successeur. Depuis 5 ans, en effet, Hollande pratique une politique totalement immobiliste en matière éducative, laissant éventuellement Najat Vallaud-Belkacem casser au collège ce qui pouvait encore marcher.
Les résultats à long terme de cette absence de politique se feront méchamment sentir: l'implosion éducative à laquelle nous assistons se traduit par une baisse cataclysmique du niveau des étudiants, qui complique singulièrement leur employabilité. Ce phénomène, bien sûr, échappe aux statistiques, et c'est pour ça qu'il est très dangereux: il faudra des années pour l'enrayer. Et les jeunes peu formés qui sortent de l'université mettront toute une vie à rattraper leur retard.
Éric Verhaeghe est fondateur de Tripalio, une start-up sur la vie syndicale. Cet ancien élève de l'ENA a occupé des fonctions dans le monde patronal et assumé divers mandats paritaires. Il fut notamment administrateur de la sécurité sociale. Son livre, Ne t'aide pas et l'État t'aidera, est paru en janvier de cette année aux éditions du Rocher.
J'ai du mal à comprendre. Il y a tout de même un sacré bout de temps qu'on tente (en France aussi) de nouvelles approches de la culture d'entreprise : le Code AFEP/MEDEF, qui me semble une bonne approche locale des directives européennes, favorise la collaboration avec l'ensemble des acteurs entreprenariaux. L'introduction de principes anglo-saxons, comme le "comply or explain, voire la théorie d'Ayres et Braithwaite sur la "Responsive Regulation", repris au coeur même de la norme législative, ou dans le cadre de pratiques reconnues, permettent une plus grande flexibilité et donc une performance accrue des entreprises. Entreprises vis à vis desquelles l'Etat français est relativement bien disposé, tout de même ! Le Conseil d'Etat, lui-même, intervient lorsqu'il juge la loi inaudible ou trop rigide.
RépondreSupprimerMaintenant, faut-il, en plus, "anorexifier" le Code du Travail puisque, de toute façon, nous sommes entrés dans l'ère de la négociation et que la culture d'entreprise ne cesse de générer des normes internes qui influencent, par la force des choses, la norme législative. Tenez, par exemple, la rupture conventionnelle du contrat de travail.
La loi a également créé des interlocuteurs institutionnels, comme le Commissaire de l'AMF dont le rôle auprès des managers est sensiblement plus celui d'un médiateur, que celui d'un contrôleur. On n'a jamais tant parlé de "soft law", de "médiation", de "gestion des conflits d'intérêts", de "management des risques juridiques" qu'aujourd'hui.
Qu'est-ce qu'on n'aurait pas fait en direction des entreprises, sauf à leur permettre de ne pas troquer la rémunération de leurs oollaborateurs contre de l'insécurité et de la précarité ? En réalité, ce à quoi on veut en arriver, aujourd'hui, c'est à l'application d'un droit transnational.
A ce compte-là, je propose d'abandonner l'idée même d'Etat régulateur, voire d'Etat tout court.Pourquoi non ?
Quant à la réforme de la sécurité sociale, elle n'avait pas déjà commencé ? Déremboursement des médicaments, revalorisation de la consultation médicale de 23 à 25 euros (pour une prestation souvent médiocre puisque le généraliste, comme son nom l'indique, ne produit que des généralités et vous renvoie la plupart du temps au spécialiste). Je vous rappelle, au passage, que 25 euros, c'est pas 25 francs mais à peu près 150 francs ! Non mais ho !). Je ne parle même pas des dégâts de la loi MAPTAM et des mutualisations/fusions qui s'en sont ensuivies. Par ailleurs, notre système de santé si protecteur, paraît-il, ne nous a jamais protégé de la gestion des conflits d'intérêt (scandales du Mediator, de l'aspartame etc...). Pour finir, l'Allemagne se porte sans doute bien mieux que nous économiquement, certes, mais à quel prix ? Au prix de l'abandon de toutes les formes de protection sociale. Je sais bien qu'aujourd'hui le mot "solidarité" fait hurler, ça prouve à quel point nous avons régressé. Le pire c'est que nous n'avons plus de Balzac, de Dickens, de Malot, de Zola pour l'écrire. On nous explique que les ministres sont de pauvres gens, la preuve ils n'ouvrent pas de droit à la retraite. Que le traitement des parlementaires est si maigre qu'il ne peut ruiner la France. Et même qu'un type comme Donald Trump peut bien dédaigner son salaire de président des Etats-Unis car il est milliardaire (sous-entendu que nos présidents de la République seraient presque des smicards à côté ...). Faut-il sortir les mouchoirs ?
RépondreSupprimerBrillant exposé. Bravo et surtout merci de votre très savante participation.
SupprimerPour ce qui a trait au caractère "savant" que vous évoquez, tout est relatif. Evidemment, les éléments juridiques et managériaux que j'évoque sont parfaitement exacts. Mais il faut tenir compte de la personnalité de la personne qui poste, moi, en l'occurrence. Mes raisonnements n'excèderont jamais les limites de ce que Hoggart nomme "la culture du pauvre". Je n'irai jamais jusqu'au bout de mes raisonnements. Je n'atteindrai jamais la logique, ni la hauteur de vue de ceux que l'argent a rendu libres, y compris intellectuellement. Car, si j'étais logique avec ce que j'énonce, je pousserais cette logique jusqu'à accepter la refonte du Code du travail, la réforme de la sécurité sociale etc... etc... mais je suis incapable de penser jusque là. Et le pire, c'est que je suis tout aussi incapable de penser l'inverse, je n'ai même pas la culture politique de ma propre classe sociale. Je resterai quelqu'un de formaté : un bon apprenant, jamais un bon penseur.
"A ce compte-là, je propose d'abandonner l'idée même d’État régulateur, voire d’État tout court.Pourquoi non ?".
RépondreSupprimerMais on y songe, cher Aukazou, on y songe. Quelques uns ne se cachent même plus d'y rêver. A grands coups de hache.
Il y a 50 ans, j'appartenais à une organisation politique de jeunes dont la dénomination comportait le mot "Progrès"... Pouah !
Ce mot, ce concept sont tellement tricards dans les têtes d'aujourd'hui qu'on leur a substitué la notion "d'avancée", si proche mentalement du gouffre.
" Je vous assure, mon cher cousin, vous avez dit : Avancée, avancée..."
Bien à vous. J.
Supprimer...Je bois du petit lait!