DESNOS. Un jour qu'il faisait nuit (et autres poèmes)

        A propos de Langage cuit :

En même temps que le groupe se constitue autour du premier Manifeste du surréalisme (1924) et que le personnage de Rose Sélavy, emprunté à Marcel Duchamp, sert de prétexte à l'expérimentation du pouvoir des mots (anagrammes, anaphonies, contrepèteries, bribes de phrases toutes faites, dictons, fragments de textes publicitaires), Desnos poursuit sa recherche d'une autre poésie. Langage cuit (1923) en témoigne, où il jongle avec les répétitions, les redoublements de voyelles et de consonnes, les charades, les expressions de la rue. Passionné par l'exploration des fantasmes qui hantent son imagination (la valeur absolue, proclamée comme telle par tous les surréalistes), il compose plusieurs romans poétiques: Deuil pour deuil (1924), la Liberté ou l'Amour (1927), où la trame d'un roman populaire lui permet de conter les aventures érotiques de Louise Lame et du corsaire Sanglot. Il écrit aussi divers scénarios pour cet art nouveau qui le fascine, le cinéma: Minuit à quatorze heures (1925), les Récifs de l'amour, les Mystères du métropolitain (1930), l'Étoile de mer (tourné par Man Ray ) – l'ensemble de ces textes pour le cinéma a été publié en 1966. Même intérêt pour le dessin et la peinture: quand il ne dessine pas lui-même des portraits symboliques de ses amis (Breton, Eluard) ou quand il ne pratique pas l'automatisme graphique, il écrit sur quelques peintres contemporains (Ernst, Picabia, Picasso).

Un jour qu'il faisait nuit


Il s'envola au fond de la rivière.
Les pierres en bois d'ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.
Tout rien.
Je la hais d'amour comme tout chacun.
Le mort respirait des grandes bouffées de vide.
Le compas traçait des carrés et des triangles à cinq côtés.
Après cela il descendit au grenier.
Les étoiles de midi resplendissaient.
Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons sur la rive au milieu de la Seine.
Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.
En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.
Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.
Quand la marche nous eut bien reposé nous eûmes le courage de nous asseoir puis au réveil nos yeux se fermèrent et l'aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.


La pluie nous sécha.


Robert Desnos 
in Corps et biens. 
Langage cuit, 1923

*   *   *

Au mocassin le verbe

 Tu me suicides si docilement.    

Je te mourrai pourtant un jour.     

Je connaîtrons cette femme idéale   

Et lentement je neigerai sur sa bouche.    

Et je pleuvrai sans doute même si je fais tard, même si je fais     

beau temps.     

Nous aimez si peu nos yeux     

et s'écoulerai cette larme sans     

raison bien entendu et sans tristesse.     

Sans.

Robert Desnos   

in Corps et biens.  

Langage cuit, 1923

*   *   *

Idéal Maîtresse


    Je m'étais attardé ce matin-là à brosser les dents d'un joli animal que, patiemment, j'apprivoise. C'est un caméléon. Cette aimable bête fuma, comme à l'ordinaire, quelques cigarettes, puis je partis.

    Dans l'escalier je la rencontrai. "Je mauve", me dit-elle, et tandis que moi-même je cristal à pleine ciel-je à son regard qui fleuve vers moi.

    Or il serrure et, maîtresse! Tu pitchpin qu'a joli vase je me chaise si 
les chemins tombeaux.

    L'escalier, toujours l'escalier qui bibliothèque et la foule au bas plus 
abîme que le soleil ne cloche.

    Remontons! mais en vain, les souvenirs se sardine! à peine, à peine 
un bouton tirelire-t-il. Tombez, tombez! En voici le verdict: "La danseuse sera fusillée à l'aube avec ses bijoux immolés au feu de son corps. Le sang des bijoux, soldats!"

    Eh quoi, déjà je miroir. Maîtresse tu carré noir et si les nuages de tout à l'heure myosotis, ils moulins dans la toujours présente éternité.


Robert Desnos 
in Corps et biens. 

Langage cuit, 1923

*   *   *

..."Je mauve", me dit-elle...

Illustration : Odalisque bleue au couteau par Felix LABISSE






Illustration haut de page: Robert DESNOS par Felix LABISSE