dimanche 5 février 2017
Georges Perec. Un homme qui dort. Extrait
" Au fil des heures, des jours, des semaines, des saisons, tu te déprends de tout, tu te détaches de tout. Tu découvres, avec presque, parfois, une sorte d'ivresse, que tu es libre, que rien ne te pèse, ne te plaît ni ne te déplaît. Tu trouves, dans cette vie sans usure et sans autre frémissement que ces instants suspendus que te procurent les cartes ou certains bruits, certains spectacles que tu te donnes, un bonheur presque parfait, fascinant, parfois gonflé d'émotions nouvelles. Tu connais un repos total, tu es, à chaque instant, épargné, protégé. Tu vis dans une bienheureuse parenthèse, dans un vide plein de promesses et dont tu n'attends rien. Tu es invisible, limpide, transparent. Tu n'existes plus : suite des heures, suite des jours, le passage des saisons, l'écoulement du temps, tu survis, sans gaieté et sans tristesse, sans avenir et sans passé, comme ça, simplement, évidemment, comme une goutte d'eau qui perle au robinet d'un poste d'eau sur un palier, comme six chaussettes trempées dans une bassine de matière plastique rose, comme une mouche ou comme une huître, comme une vache, comme un escargot, comme un enfant... "
Georges Perec
in Un Homme qui dort
1967
Georges Perec est un écrivain français né en 1936 et mort en 1982. Parallèlement à ses études de Lettres, Georges Perec écrit des romans dont le premier à être publié Les Choses. Une histoire des années soixante obtient le Prix Renaudot en 1965. Membre de l'Oulipo à partir de 1967, son écriture se trouve alors marquée par les contraintes formelles typiques de ce courant littéraire comme c’est le cas dans La Disparition (1969), écrit sans jamais utiliser la lettre "e" (la disparue, donc). En 1978, il obtient le prix Médicis avec La Vie mode d'emploi, un livre culte qui explore les lieux, les recoins obscurs d'un habitat à travers un enchevêtrement de personnages. Reconnu pour sa virtuosité stylistique, Georges Perec est tout autant un conteur du quotidien et de lui-même comme le montrent son livre fameux Je me souviens ou encore W. ou le souvenir d’enfance dans lequel il revient sur la mort de ses parents d’origine juive polonaise pendant la guerre.
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