« La langue que je parle n’est pas morte, / Sa source est l’alphabet de l’univers. »
Charles Dobzynski
Marc Chagall,
Le cheval roux, 1967, musée de Nice
Un cheval juif
Un cheval juif
ça n’existe pas
pourtant j’en ai vu uni.
ça n’existe pas
pourtant j’en ai vu uni.
Tête noire et crinière blanche
qui ne s’était pas enfui
d’une écurie de Chagall.
Cheval aveugle qui pleurait
paupières lourdes
de toutes les larmes du monde.
Hirsute échappé soudain du visible
peut-être de la Bible
ou d’une énigme du Zohar.
Il avait fléchi son allure
oublié son galop
et ne portait pour cavalier
qu’un maigre halo de lune.
Il ressemblait au portrait
d’un aïeul désolé
incarcéré dans les fissures
de son image.
Tressaillement des naseaux
et sous sa robe tremblante
une douleur insatiable.
La douleur qui est l’azote
des âmes tombées
d’un trou de l’ozone.
Le cheval ne se cabrait pas
face au destin déserté
il flairait les lointains.
Il humait dans l’herbe rêveuse
une rosée millénaire
l’histoire volée en éclats.
Le cheval traverse la nuit
sans la voir et puis il entre
dans le jour à son insu
comme on entre dans un miroir.
Je l’enfourchais parfois
sa tendresse me soulevait
je le tenais par le mors.
Il me tenait par la mort.
Charles Dobzynski
Charles Dobzynski
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Né en 1929 et mort en septembre 2014, Charles Dobzynski est journaliste, rédacteur des Lettres françaises sous la direction d'Aragon, puis rédacteur en chef de la revue Europe et de Faites entrer l'infini. Il avait eu le don d’échapper aux rafles et aux arrestations, en particulier à la rafle du Vel’d’Hiv’ dont il se souviendra dans son œuvre: «La police du quartier tirée à quatre épingles verrouille le silence. Il faudra fracturer le soleil. Bonder les autobus. Mais tout se tait. Le pays porte le deuil muet de ceux que l’on déporte…» in Journal alternatif, 2000.
"l'histoire volée en éclat"...
RépondreSupprimerL'alliance de mots choisis résonne et touche.
Très beau poème.Je découvre.
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