Le Cygne et le Cuisinier
Dans une ménagerie
De volatiles remplie
Vivaient le cygne et l'oison (1) :
Celui-là destiné pour les regards du maître ;
Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquait d'être
Commensal (2) du jardin ; l'autre de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries,
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,
Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger,
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le cygne ; et le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oiseau, prêt à mourir, se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien qu'il s'était mépris.
" Quoi ? je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe !
Non, non, ne plaise aux dieux que jamais ma main coupe
La gorge à qui s'en sert si bien ! "
Ainsi dans les dangers qui nous suivent en croupe
Le doux parler ne nuit de rien.
Jean de La Fontaine
In Fables
Livre III
Quelques éclaircissements pour les jeunes lecteurs (et peut-être pour les moins jeunes également !) :
(1) L’oisin : l’oison est une oie mâle.
(2) Commensal : très beau mot malheureusement tombé en désuétude. Le commensal est un compagnon de table. Les commensaux sont ceux qui partagent avec nous, à table, le repas.
Quelques notes sur l'histoire ce cette fable : Le rhéteur grec Aphtonius (IIIe siècle avant J.-C., auteur d’un recueil de fables à caractère pédagogique) a repris l’idée de cette fable à Esope (« Le Cygne pris pour une Oie »). Il a voulu en faire un éloge de l’éloquence. Guillaume Haudent en latin et Verdizotti en italien traiteront le même sujet (« Del Cigno e dell ‘Occa »). La Fontaine se basera sur le texte du secrétaire du Titien pour le début et la moralité de cette fable. Cette fin disait ceci « L’éloquence a souvent eu le pouvoir d’écarter les périls, et même la mort menaçante ».
Jean de la Fontaine est né à Château-Thierry le 8 juillet 1621. Ses fables, au nombre de 243 restent son chef d'oeuvre. Certains considèrent la Fontaine comme un copieur qui n'a rien inventé, mais il est certain que sans sa contribution essentielle, les noms d'Esope et de Phèdre, entre autres, n'auraient pas le retentissement qu'ils ont maintenant. La Fontaine s'est certes inspiré de ces fables anciennes, mais il les a considérablement améliorées et écrites dans une langue belle et douce à lire. Plus de 12 000 vers, rien que pour les fables ! Il meurt le 13 avril 1695.
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