Alain Pompidou:
"le jour où ma mère achète un Nicolas de Staël"
Nicolas de Staël
Les Toits de Paris
1953
Je n’oublierai jamais ce soir de juillet 1958, quand ma mère, Claude Pompidou, fait ce splendide cadeau d’anniversaire à Georges, mon père. Elle a acheté ce tableau à crédit, 40 000 francs, une somme pour l’époque. Aujourd’hui, il vaut cent fois plus cher !
" Cet après-midi de 1953, j’accompagne mes parents dans l’atelier de l’artiste. Je suis subjugué par son travail. Mon regard se balade et je tombe en arrêt devant un tout petit tableau de… Nicolas de Staël, encore méconnu, posé sur la cheminée. Il fait 10 centimètres sur 10 centimètres, est peint au couteau, avec un beau relief, il déploie un splendide camaïeu de gris, la couleur de cette glaise qui me fascine. Je m’exclame, du haut de mes 11 ans : « Cette toile est magnifique ! » Eclat de rire général.
Cinq ans plus tard, début 1958, papa vient de quitter son poste de directeur de la banque Rothschild, décidé à se mettre au service du général de Gaulle qui le sollicite. Ma mère n’y est pas favorable, estimant, à juste titre, que « la politique est un jeu de massacre ». Ils ont quelques disputes à ce sujet. Peut-être pour se faire pardonner une parole malheureuse, maman décide de lui faire un cadeau pour ses 47 ans, le 5 juillet 1958.
Elle se rend dans « leur » galerie, chez Jeanne Bucher, où, ensemble, ils ont déjà fait l’acquisition d’un cubiste pas trop cher, Youla Chapoval. Elle se souvient très bien de l’épisode de Bagneux. Choisit sans hésiter « Les toits de Paris », de Nicolas de Staël, une merveille multicolore peinte en 1952, qu’elle va payer en trois fois ! Je la vois arriver à la maison, quai de Béthune, avec son tableau emballé. Elle va chercher un marteau et l’accroche. Vers 21 heures, mon père, harassé, arrive de chez le Général, sa serviette bourrée de paperasses qui vont l’occuper tard après le dîner. Claude lui montre la paroi et… le voilà transfiguré ! Emerveillé, enthousiaste. Le dîner est une fête, il se lève dix fois pour regarder son chef-d’œuvre. J’ai 16 ans et je sais que j’y suis pour quelque chose ! On rit. Le tableau est aujourd’hui chez moi, riche de souvenirs. "
©Alain Pompidou
In Claude. C’était ma mère , éd. Flammarion
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