samedi 4 janvier 2020

Derrida. Prolégomènes à la poésie





Prolégomènes : nom masculin pluriel ; du grec pro, devant, avant et de legein, dire.

Il s'agit d'une longue introduction placée en tête d'un ouvrage ou bien de l'ensemble des notions préliminaires à une science. Il s'utilise toujours au pluriel. Attention : un prolégomènes, nom masculin, prend toujours un s



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Un poème promet, dans l'acte de son événement, la fondation d'une poétique


Un poème [peut-être pas n'importe quel poème, un poème digne de ce nom], ne renvoie pas à un art d'écrire défini avant lui. Il n'obéit pas à des lois qui s'imposeraient à lui depuis un autre lieu, comme s'il avait à se soumettre à une autorité extérieure [l'expert ou l'institution qui auraient défini, une fois pour toutes, ce que doit être un poème]. Il produit, il invente, comme le dit Derrida, "dans l'acte de son événement", cet art d'écrire, cette "poétique" à laquelle il se mesure. Imaginer que cela soit possible est une proposition extravagante, inouïe. Et pourtant... dans l'acte de réussir un poème, de transformer un matériel verbal en poésie, c'est une poétique qui s'institue : les règles et critères qui valent pour ce poème-là (et lui uniquement), qui opèrent en lui sans apparaître comme tels. Le poème n'énonce pas sa poétique, il en témoigne, il la promet, il l'invente, il s'y réfère. Il la fait (il faut qu'il la fasse, qu'il en ouvre la possibilité), il la fonde, il la signe, il la donne à lire. C'est une poétique qui réside dans le poème (dans son corps verbal) et aussi au-delà de lui-même, dans l'autre, dans le monde.

Dans sa situation, dans le temps singulier, lui aussi unique, de la lecture, le lecteur en fait l'expérience - sans pouvoir, lui non plus, s'appuyer sur aucune autorité extérieure.


J.Derrida





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