vendredi 20 novembre 2020

Retrouvailles

 


«Mon ami François me manque»

QUAND REVIENDRONT LES JOURS HEUREUX - Réciter de la poésie avec un ami cher.

Portrait de Victor Segalen par Louis Talbot en mai 1904
Portrait de Victor Segalen par Louis Talbot en mai 1904 Louis Talbot Licence Wikimedia Commons


Mon ami François me manque. J’aime son petit bureau qui donne sur un parc qui doit, ces jours-ci, arborer de jolies couleurs d’automne. Naguère, nous parlions sans relâche dans cette pièce encombrée de livres, de papiers et d’encriers…



François est un méditatif prolixe. Il n’a pas peur des grands mots, beauté, mort, âme, joie, éternité. Comme personne, il leur redonne saveur et force et je lui en sais gré. La beauté est une rencontre, a-t-il coutume de dire pour parler d’une peinture ou d’un paysage. Mais s’il nous prive de rencontres, le monde peut-il encore prétendre à la beauté?
François et sa femme Micheline ne sont pas sortis de chez eux depuis huit mois. L’âge, la maladie, la crainte de la contagion les retiennent, isolés. Cette solitude lui pèse, je l’entends à sa voix quand je lui téléphone. Elle a des accents de détresse qui m’émeuvent. La vie extérieure lui manque. Lui et sa femme s’en allaient à petits pas pour faire les courses dans leur quartier, et les passants qui les connaissent les regardaient passer, attendris par ce couple uni dans la fragilité. Philémon et Baucis ne devaient pas offrir un tableau plus charmant.


François écrit-il toujours? Parvient-il à cette «vie recluse en poésie», privilège quasi monastique dont parlait Patrice de La Tour-du-Pin? En a-t-il la force, l’envie? Le confinement a peut-être tari son inspiration en le privant d’images, de parfums et de couleurs. Lit-il seulement des vers? Un temps qui prive un poète de son art est un temps bien cruel.

Il me tarde de lui parler.

Un jour, demain, bientôt, je traverserai la ville, à pied ou en autobus. Je sonnerai à la porte d’un immeuble sis dans une rue déserte de Paris, propice à la contemplation, et j’entendrai sa voix à l’interphone, ce traînant et interrogatif, reconnaissable entre mille. Il m’aura attendu. Au sortir de l’ascenseur, je verrai sa silhouette frêle se dessiner dans l’encadrement de la porte. Dans la lumière du jour revenu, je retrouverai inchangé ce beau visage creusé de rides régulières, ces yeux ardents surmontés de cheveux noirs en brosse.

Je lui apporterai un livre, en écho à nos conversations passées ; il servira de prétexte à celles qui viendront. Stèles, de Segalen. J’aime ce recueil, ne serait-ce que parce que l’auteur l’a orné de calligraphies semblables à celles que François dessinait jadis et qu’il offrait à ses amis. En poésie, Claudel, Segalen et lui forment ma ligne d’horizon, à l’Orient.

J’ouvrirai Stèles et je lirai ; peut-être ma voix sera-t-elle brouillée par l’émotion? «Des lointains, des si lointains, j’accours, ami, vers toi, le plus cher. Mes pas ont dépecé l’horrible espace entre nous.»

Et François poursuivra, comme une hymne: «Laisse-moi ô joie qui déborde, commander à mon soleil et le ramener à mon aube: que j’épuise ce bonheur aujourd’hui!»

Ces seuls mots me diront que le temps de l’absence a passé et que vient, miraculeusement, celui des retrouvailles et de l’action de grâce
.

 pcc 




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