samedi 20 février 2021

Dorothy Parker.

 


Hymnes à la haine de Dorothy Parker : «Les Femmes»

Dorothy Parker

Les Hymnes à la haine sont une série de 

poèmes publiés en 1916 dans Vanity Fair. Cette 

année-là, Dorothy Parker a seulement 23 

ans, mais elle porte déjà un regard acerbe sur 

la société américaine… Assurément un 

beau monologue féminin pour 

une audition !




LES FEMMES



Je hais les femmes. Elles me portent sur les nerfs.

Il y a les femmes d’intérieur. Ce sont les pires. Chaque instant est ficelé de bonheur. Elles respirent avec méthode, et, pour l’éternité, se hâtent à grands pas vers la maison, où il faut surveiller le dîner.


Il y a aussi les douces, qui disent avec un tendre sourire : « L’argent ne fait pas le bonheur », et ne cessent de me faire admirer leur robe, en me confiant : « Je l’ai faite moi-même », et vont épluchant les pages féminines des magazines, toujours à essayer de nouvelles recettes… Ah, que je les hais, ces sortes de femmes !


Et puis, il y a les petites fleurs sensibles, les pelotes de nerfs. Elles ne ressemblent pas aux autres, et ne se privent pas de vous le rappeler.Il y a toujours quelqu’un pour froisser leurs sentiments. Tout les blesse, très profondément. Elles ont toujours la larme à l’oeil. Ce qu’elles peuvent m’enquiquiner celles-là, à ne parler que des « choses réelles », des « choses qui importent vraiment » ! Oui, elles savent qu’elles aussi pourraient écrire ! Les conventions les étouffent ! Elles n’ont qu’une seule idée : partir ! Partir, loin de tout ! Et moi je prie le Ciel : « Oui, qu’elles foutent le camp ! »


Et puis, il y a celles qui ont toujours des ennuis. Toujours. En général avec leur mari. On est injuste avec elles. Personne jamais ne les comprend ces femmes. Elles arborent un petit sourire désenchanté, et quand on leur parle, elles sursautent. Elles commencent par vous dire que leur lot est de souffrir en silence : « Personne ne saura jamais… », et en avant le déballage !


Et puis, il y a les Madame-je-sais-tout. Elles sont la Peste. Elles savent tout ce qui de par le monde arrive, et sont au régal de vous en informer. Il est de leur devoir de corriger les impressions fausses, elles connaissent les dates de naissance, les seconds prénoms de tout-un-chacun, et leur être sue la banalité factuelle. Pour moi, elles sont l’Ennui !


Il y a celles aussi qui s’avouent incapables de deviner pourquoi tant d’hommes sont fous d’elles. Elles disent qu’elles ont essayé, mais en vain. Elles vous parlent du mari d’Une Telle, ce qu’il a dit, et sur quel ton… Ensuite, elles soupirent et demandent : « Chéri, en quoi cela d’ailleurs nous concerne-t-il ? » Ne les détestez-vous pas celles-là, vous aussi ?


Il y a celles, enfin, qui ont toujours le sourire aux lèvres. Elles ne sont pas mariées, passent leur temps à distribuer de menus cadeaux, à préparer de petites surprises. Elles me conseillent de prendre, comme elles, les choses du bon côté. Ah, que deviendraient-elles si elles venaient à perdre leur sens de l’humour !


Et moi qui brûle de les étrangler… N’importe quel jury m’acquitterait.

Je hais les femmes. Elles me portent sur les nerfs.


Dorothy Parker

In Hymnes à la haine



traduction française de Patrick Reum Dominique Letellier, Ed. Phébus, 2010. aux et Dominique Letellier, Ed. Phébus, 2010.











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