vendredi 27 janvier 2017

Shoah : comment la bande dessinée représente l'indescriptible



Non sans prudence, erreurs et tâtonnements, parfois avec génie, la bande dessinée s’est emparée d’un sujet aussi universel qu’indicible : la Shoah. C’est ce parcours historique et artistique à travers le 9e Art que vous invite à découvrir cette exposition, en interrogeant les sources visuelles de ces représentations, leur pertinence, leur portée et leurs limites, des comics à la bande dessinée franco-belge, des romans graphiques aux mangas.

Le Mémorial de la Shoah, à Paris, dresse ce rare inventaire de la relation entre la narration graphique et l'holocauste, riche de 200 planches.



Le Mémorial de la Shoah, à Paris, présente cette exposition poignante, jusqu'au 30 octobre, sur la représentation de l'holocauste dans la bande dessinée. Au-delà de la révolution Maus, d'Art Spiegelman, le roman graphique coup de poing des années 80, le musée consacré à l'histoire juive durant la Seconde Guerre mondiale s'interroge sur les tenants et aboutissants de cet art populaire qui s'est emparé du sujet dès l'année 1942, jusqu'à aujourd'hui. Son initiative est essentielle à la mémoire collective.
Comment sont relayés les témoignages? Comment le talent des auteurs s'est-il déployé pour traduire l'indicible en images? Riche de 200 documents originaux, l'exposition offre au public les superbes planches de Will Eisner, Calvo, Jack Davis, Jack Kirby ou encore celles de Jean Graton et Paul Gillon, talentueux dépositaires de cette tragique mémoire.


● David Olère, premiers dessins, premières sources documentaires



Avant que la Shoah soit représentée par des gens qui ne l'ont pas vécue, il était important de la montrer à travers les témoignages de rescapés. Il y en a trois dans l'exposition, des victimes qui étaient peintres ou dessinateurs avant de rentrer dans le camp.
David Olère

Parmi ces témoins, David Olère, peintre, affichiste et décorateur de cinéma. Il est arrêté en 1943 et déporté à Auschwitz. Il était Sonderkommando, le «commando spécial» qui doit sortir les corps des chambres à gaz et récupérer sur les cadavres les dents en or et tout ce qui pouvait être récupéré avant de les incinérer dans les fours crématoires. Il n'y a rien de plus traumatisant.
En termes de représentation, on est dans une narration proche de la bande dessinée, où il décrit chacune des étapes de cette horreur, de la sélection à l'arrivée jusqu'au gazage et à la crémation des corps. Il arrive à restituer des choses que personne n'a pu photographier ou filmer. Et encore moins à l'intérieur des chambres à gaz. Il y a ici une volonté de témoignage.
Les recoupements avec d'autres récits permettent d'affirmer l'exactitude de ses restitutions, qui influenceront beaucoup les représentations à venir.




● La Bête est morte! de Edmond-François Calvo, première mention de la Shoah



Publiée à la fin de l'année 1944, La Bête est morte ! est aujourd'hui très largement considérée comme une bande dessinée de référence. La guerre n'est pas finie à ce moment-là. Sa forme animalière permet d'atténuer une réalité horrible. Le réalisme serait insupportable. Cette œuvre est extrêmement documentée.



"La Bête est morte", d’Edmond-François Calvo (dessin), Victor Dancette et Jacques Zimmermann (scénaristes), Éditions Gallimard, novembre 1944, collection particulière. /©Mémorial de la Shoah. 



Cette page de La Bête est morte! représente la première mention de la Shoah dans la bande dessinée. Le terme même de génocide, que le juriste Raphael Lemkin est en train de créer, n'est pas encore diffusé. Et pourtant les auteurs de l'ouvrage évoquent, afin de décrire le sort des Juifs, «le plus atroce plan de destruction» et «l'anéantissement total», définition même de ce qu'est un génocide. Une évocation aussi claire de la Shoah est exceptionnelle par sa précocité. Le dessin est très clair, montrant notamment comment les femmes étaient séparées de leurs enfants à leur arrivée dans le camp, ou des scènes de torture. Il n'y a pas de description plus précise que celle-là.



● La révolution Maus, d'Art Spiegelman


Couverture de l'intégrale «Maus», 1992.

Maus est une révolution que personne n'attendait. Spiegelman est un auteur ' underground ', animé par la même volonté que ses congénères , mettre du sexe dans la BD et la faire basculer dans le monde adulte. En 1980, Françoise Mouly, sa femme, crée Raw où il va publier Maus. Sa chance est de le publier après 1978, moment où Will Eisner promeut le roman graphique.


Ce n'est pas uniquement un documentaire, mais l'histoire d'une relation entre un père et son fils. Un fils qui essaie de comprendre ce que son père a vécu pour mieux l'appréhender. L'album est d'une grande modernité avec une mise en abyme du processus de création. Maus reçoit la plus haute distinction littéraire des États-Unis, le prix Pulitzer. C'est la première grande bande dessinée qui parle de la Shoah à la fois de manière affective, documentée et moderne. Il faut bien avoir conscience qu'avant ce chef-d'œuvre, les bds étaient des comic books qu'on trouvait dans des librairies spécialisées, alors que Maus était dans les librairies grand public, à côté des essais et des romans sur la Shoah.»





Shoah et bande dessinée, au Mémorial de la Shoah, jusqu'au 30 octobre.
Non sans prudence, erreurs et tâtonnements, parfois avec génie, la bande dessinée s’est emparée d’un sujet aussi universel qu’indicible : la Shoah. C’est ce parcours historique et artistique à travers le 9e Art que vous invite à découvrir cette exposition, en interrogeant les sources visuelles de ces représentations, leur pertinence, leur portée et leurs limites, des comics à la bande dessinée franco-belge, des romans graphiques aux mangas.




Commentaire inspiré de ©Didier Pasamonik, commissaire de l'exposition.

2 commentaires:

  1. Je découvre cet angle de vue.
    Remerciements.

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    Réponses
    1. Content de vous savoir en découverte. Transmettre est en effet le but patient et réussi du Mémorial.

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