vendredi 27 octobre 2017

Macron




Taxe sur les dividendes : autopsie d'un «scandale d'État» à 10 milliards



[nous confortons notre communication du 13 octobre 2017]




Ce prélèvement sur les grandes entreprises institué en juillet 2012 par François Hollande a été censuré en octobre par le Conseil constitutionnel. La facture, bien plus élevée que prévu, pourrait contrarier le retour du déficit sous les 3 %. Si la responsabilité de l'ancien exécutif est évidente, les coupables sont nombreux.




«Se préparer au pire, espérer le meilleur, prendre ce qui vient.» Dans l'affaire de la taxe à 3 % sur les dividendes, qui va coûter 10 milliards d'euros aux Français, l'État est resté imperméable à la sagesse de Confucius. Il a espéré le meilleur et pris ce qui venait sans se préparer au pire. La «contribution de 3 % sur les montants distribués», créée en juillet 2012 par François Hollande en pleine croisade contre son ennemie «la finance», visait à pénaliser les entreprises qui n'utilisent pas leurs profits pour investir, mais pour rémunérer leurs actionnaires. Après plus de trois ans de contentieux juridiques, cette taxe - créée pour financer un autre contentieux fiscal - a été censurée le 6 octobre en totalité par le Conseil constitutionnel. L'arme fiscale s'est retournée contre son maladroit créateur… La moitié de l'ardoise, soit 5 milliards, retournera dans les caisses des 13 plus grands groupes contributeurs, augmentée des intérêts moratoires, sorte de pénalités s'appliquant à l'État. D'après nos informations, le premier d'entre eux réclamerait quelque 600 millions à lui seul.
Le ministre Le Maire (!) tacle aujourd'hui «l'amateurisme» des socialistes qui ont provoqué ce«scandale d'État» et demande à l'Inspection générale des finances de rechercher les coupables… et ce, en guise de contre-feu, au moment même où la gauche mitraille l'exécutif sur un «budget 2018 pour les riches» avec la suppression partielle de l'ISF. Au banc des accusés, le ministre du Budget d'alors, Jérôme Cahuzac, celui de l'Économie et des Finances, Pierre Moscovici - aujourd'hui commissaire européen à l'Économie - et le député Christian Eckert. Ce dernier, retiré de la vie politique depuis juin, fait figure de coupable idéal. D'abord en tant que rapporteur du budget à l'Assemblée en 2012, lorsque la taxe a été créée. Ensuite en tant que secrétaire d'État au Budget d'avril 2014 à mai 2017. Mais comme toutes les grandes catastrophes, un homme seul n'a pas mené l'État au désastre. C'est l'addition de nombreuses négligences, couplée à une pincée de malchance et à l'habileté procédurale d'avocats fiscalistes qui a débouché sur la censure constitutionnelle la plus coûteuse de l'histoire.

Le gouvernement ne peut plus nier

Sur le fond, le dossier est horriblement technique. Christian Eckert a beau jeu de se défendre en prétendant que le sort mouvementé de la taxe était «inenvisageable» il y a cinq ans. Ni le Conseil d'État, ni les administrations de Bercy, ni l'Élysée - où officiait alors un certain Emmanuel Macron, comme secrétaire général adjoint en charge de l'économie - ne relève alors le risque qui a mené cette taxe à sa perte, argue-t-il aujourd'hui. «Nos conseils nous avaient prévenus que le dispositif était fragile», charge-t-on pourtant du côté du patronat. «Les employeurs avaient brandi une incompatibilité avec les textes européens, contre laquelle nous nous étions d'ailleurs prémunis, mais ils n'avaient pas soulevé l'argument qui sera utilisé pour censurer la taxe», répond un des artisans de la contribution fatale. Mais comme dans toute tragédie, la fin était cependant prévisible. En effet, un avocat fiscaliste, Philippe Derouin, «le meilleur de la place de Paris», dit-on, avait pourtant prédit dès juillet 2012 comment la taxe tomberait sous les coups de la justice européenne et du Conseil constitutionnel. Quatre jours après le vote du dispositif, cette Cassandre propose une tribune à un grand quotidien économique. À cause d'un amendement soufflé à Christian Eckert par Bercy qui élargit la portée de la taxe, le dispositif risque de taxer des profits qui l'ont déjà été dans d'autres pays de l'Union, y explique-t-il en substance. Or c'est illégal. Trop technique, sa tribune ne sera pas publiée. L'avocat développe à l'automne son argumentaire dans un article de la Revue de droit fiscal. En vain. «Très argumenté, le texte de Derouin a dû alerter les autorités qui n'en ont pas pour autant modifié leur texte», juge aujourd'hui Nicolas Jacquot, avocat associé chez Arsène Taxand, en pointe sur ce dossier depuis 2015. Résultat, le gouvernement Ayrault laisse les choses en l'état.





«Pardonnez-moi d'être quelque peu elliptique, mais sachez que la France n'est pas en conformité avec le droit européen»





Christian Eckert, devenu secrétaire d'État au Budget en novembre 2015

Pendant près de trois ans, l'exécutif socialiste peut se féliciter de ne pas s'être inquiété. La taxe rapporte plus que prévu (1,8 milliard de recettes par an, contre 800 millions attendus) et provoque peu de remous. Jusqu'à ce que Bruxelles engage, au printemps 2015, une procédure en manquement à l'encontre de la France. À cette époque, quelques plaintes ont été déposées par des entreprises, pour un risque estimé en septembre 2015 par Bercy à 340 millions. Mais le gouvernement ne peut plus nier le problème. D'ailleurs, Christian Eckert, entre-temps promu secrétaire d'État au Budget, le reconnaît benoîtement le 23 novembre 2015 devant les sénateurs. «Pardonnez-moi d'être quelque peu elliptique, mais sachez que la France n'est pas en conformité avec le droit européen», avoue-t-il alors. Ce n'est pas pour autant que l'exécutif réagit. «Voilà une nouvelle illustration malheureuse d'un gouvernement qui cherche à pousser la poussière sous le tapis pour le suivant, regrette un ancien cadre de Bercy. »
Avec le recul, c'est le dernier moment où le pouvoir aurait pu éviter la catastrophe, mais «la machine était partie pour exploser», résume aujourd'hui Philippe Derouin. Confortées par les interrogations de la Commission, les entreprises multiplient les recours. En juin 2016, les 20 plus grands groupes français - ils n'avaient pas souhaité réagir avant, de peur de voir la taxe remplacée par un autre prélèvement plus douloureux - prennent le train en marche et passent à l'attaque par le biais de la discrète Association française des entreprises privées (Afep), qui fédère les 110 plus grandes entreprises tricolores.
Les décisions de justice se succèdent alors, parfois prévisibles, parfois moins attendues. Toutes contribuent à donner des armes aux opposants. En février 2016, le Conseil constitutionnel interdit de facto la «discrimination à rebours». Et pour cause. «L'idée que les groupes français puissent se plaindre d'une discrimination en faveur de groupes étrangers, comme c'était le cas pour la taxe à 3 %, n'était pas une idée répandue», justifie Martin Collet, professeur de droit public et spécialiste des finances publiques à l'université Paris-II Panthéon-Assas. Puis, à l'automne, le rapporteur général de la Cour européenne de justice tacle une taxe belge similaire. «On pouvait dès lors anticiper la décision de la Cour, qu'elle rendra en mai 2017», estime Stéphane Austry, associé chez CMS Bureau Francis Lefebvre, qui a, avec Gauthier Blanluet, associé chez Sullivan & Cromwell, porté l'affaire pour l'Afep.
Las, le gouvernement Valls se contente de modifier à l'automne 2016 la taxe à la marge. Les élections sont si proches, les sondages si mauvais pour les socialistes et le projet de budget 2017, examiné par les députés, n'en est plus à une imperfection près! La bombe, taxée aujourd'hui de «scandale d'État» par Bruno Le Maire, tiendra bien jusqu'aux successeurs. Reste que Bercy provisionne fin 2016 discrètement 4,9 milliards d'euros dans les comptes de l'État. En mars 2017, la facture grimpe à 5,5 milliards, 5500  entreprises ayant alors fait des réclamations.
Une semaine et demie après l'élection d'Emmanuel Macron, le 17 mai, la Cour européenne de justice censure une grande partie de la taxe et c'est au nouveau président de traiter le problème. Dans la foulée, les avocats des entreprises posent une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur laquelle le Conseil d'État suggère le 7 juillet au Conseil constitutionnel de rendre une censure très large. «Les conclusions du rapporteur public posent clairement les termes du débat et le ministère des Finances aurait pu en tenir compte», analyse Nicolas Jacquot, qui avait porté l'affaire devant le Conseil constitutionnel.

Bercy espérait gagner du temps

Péché d'optimisme, négligence coupable ou manque de réactivité, le gouvernement Philippe ne modifie pas son projet de budget pour 2018. Le gouvernement ne prévoit de mettre de côté que 300 millions d'euros pour 2018, puis 1,8 milliard les trois années suivantes. «On espérait qu'une catégorie de revenus redistribués par les entreprises, à savoir les profits opérationnels, ne serait pas visée par le Conseil constitutionnel», explique-t-on à Bercy. Un avis qui aurait permis à l'administration de gagner du temps en réclamant aux entreprises de multiples justificatifs avant de les rembourser. Mais nul ne devine à ce moment-là que la décision des Sages du 6 octobre sera aussi radicale. Elle ira même au-delà des espérances des avocats. «L'étendue de la décision faisait partie des hypothèses envisageables, analyse cependant Stéphane Austry. Le fait que les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité n'aient pas été limités aux affaires en cours, laissant la possibilité à des entreprises qui ne l'avaient pas encore fait de déposer des recours, était plus inattendu.»
Au lendemain de la décision, Bercy compte pour 7,4 milliards d'euros de réclamations et table sur 1 milliard de plus non encore réclamé. En ajoutant les intérêts moratoires, la facture grimpe à 10 milliards, soit exactement ce que la taxe sur les dividendes aura généré en recette fiscale durant les cinq années de sa vie si…
Pcc : G. Guichard


1 commentaire:

  1. Je gage que les "tueurs" de Bercy vont vite trouver une parade.

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