samedi 28 octobre 2017

Van Dongen et B.B.








Comme évoqué plus tôt (le 2 septembre) et repris en bas de page, une magnifique exposition consacrée à Kees Van Dongen, intitulée « Fauve, anarchiste et mondain », a eu lieu à Paris du 27 mars au 17 juillet 2011. Le Musée d’Art Moderne retraçait les années phares de ce célèbre peintre d’origine néerlandaise. L’exposition présentait environ 110 œuvres (peintures, dessins et céramiques) réalisées par l’artiste. Elle a été conçue par le musée Boijmans Van Beuningen de Rotterdam en collaboration avec le musée parisien.

Kees Van Dongen, de son vrai nom Cornelis Théodorus Marie van Dongen, est né le 26 janvier 1877 à Delfshaven (Pays-Bas) et décédé, à l'âge de 91 ans, le 28 mai 1968 à Monaco.    
Après des études aux Beaux-Arts de Rotterdam, il commence à peindre des matelots et des prostituées. En 1897, il séjourne pour la première fois à Paris où il présente ses œuvres et se marie. En 1905, lors du Salon d’Automne, il expose aux côtés d’Henri Matisse. Les couleurs vives de leurs œuvres seront à l’origine du nom de ce groupe de peintres : les Fauves.
A la fois anarchiste et dandy, Van Dongen peint surtout des portraits (de femmes), mais aussi des scènes de cabaret, des spectacles forains, des sujets exotiques. Il est très influencé par Degas et Toulouse-Lautrec mais aussi par ses nombreux voyages (Maroc, Espagne, Égypte). Paris reste cependant la source principale de son inspiration (Montmartre, Montparnasse et l’ambiance des Années Folles). Il est très rapidement introduit dans la haute société des années 1920-1930 ; il devient alors le portraitiste du Tout-Paris et « croquera » notamment Arletty, Sacha Guitry, Maurice Chevalier et… Brigitte Bardot. Et bon nombre de célébrités de l’époque, oubliées aujourd’hui… Il obtiendra la nationalité française en 1928.

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La rencontre avec Brigitte Bardot est plutôt marrante - ou plutôt les deux rencontres, car Van Dongen fera deux portraits d’elle à quelques années d’intervalle.
Mais laissons la toute jeune Brigitte nous raconter elle-même cette première rencontre en 1954…

« Puisqu’il fallait bien s’occuper à quelque chose entre deux films minables, j’acceptai pour un reportage télévisé d’aller déjeuner chez Maurice Chevalier à Marnes-la-Coquette et de poser pour le peintre Van Dongen. J’étais une inconnue, ils étaient deux monstres sacrés ! Van Dongen, qui m’impressionnait à mourir, fit un extraordinaire portrait de moi. La télé filmait la progression de l’œuvre, et me filmait par la même occasion…
Impossible d’acheter ce chef-d’œuvre, je n’avais pas un sou. J’en crevais de rage. Je fis en vain du charme à Van Dongen qui préférait les billets de banque aux sourires. Tant pis ! Ce portrait est maintenant dans le dictionnaire Larousse et passe pour l’un des chefs-d’œuvre du Maître.
Par la suite, j’ai recherché le tableau, qui avait été vendu à un Américain… Revenu en France, on m’a proposé de l’acheter en 1970 ; il valait alors 270 000 Francs et j’avais l’impression de voir un plat d’épinards avec du jambon… ».  

in Initiales B.B
Éditions Grasset, 1996

De son côté, le peintre en voyant arriver Brigitte, s’écrie sans aucun ménagement : « C'est tout ce que vous m'avez trouvé comme modèle pour représenter la parisienne ? C'est tout sauf ça ! Je ne suis pas un peintre animalier, je ne peins pas les pékinois ! ». Mais comme le précise Brigitte, il aimait l’argent et il s’était engagé. Il fit donc le portrait en déclarant que c’était « le plus mauvais de toute sa carrière ! ».
Mais deux ans plus tard, la jeune starlette deviendra une star mondiale avec le film Et Dieu... créa la femme. Alors, comme par miracle, Van Dongen n’hésitera pas à clamer que ce portrait est son favori et l’un de ses chefs-d’œuvre !

Ce premier portrait fera la couverture du célèbre magazine américain Life (28 mars 1960).

La deuxième rencontre a été organisée par l'hebdomadaire Paris Match. Elle a eu lieu le 12 septembre 1959, et Van Dongen a reçu Brigitte dans son atelier parisien, rue de Courcelles. Le résultat (on ne sait pas pourquoi...) est intitulé « B.B. aux yeux d’autruche » ! Dans ses Mémoires, Brigitte n’a pas évoqué cette ultime rencontre. Mais quand on voit la tête qu’elle fait en découvrant le travail d’ébauche du Maître, on comprend qu’elle a préféré s’abstenir de tout commentaire…




On observera la moue dubitative de Brigitte en découvrant l’œuvre ci-dessous…
BB aux yeux d’autruche , 1959



La première rencontre avec Van Dongen chez Maurice Chevalier en 1954.
La première rencontre avec Van Dongen chez Maurice Chevalier en 1954.


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Reprise du précédent article




Kees Van Dongen, de son vrai nom Cornelis Théodorus Marie van Dongen est un peintre néerlandais. Il est né le 26 janvier 1877 à Delfshaven, dans la banlieue de Rotterdam (Pays-Bas). Il mourut, à l'âge de 91 ans, le 28 mai 1968 à Monaco.




Baigneuses à Deauville, 1920




Femme sur un sofa, 1930




Parisienne




Marchandes d'herbes, 1910




La commode, 1912




La châle espagnol, 1913




La dame au chapeau noir, 1908




Le coquelicot ou graine de pavot, 1919









Tour d'horizon des toiles, l'expo de 2011







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(Ci-dessous un brillant article de P.Mandon à l'occasion de l'expo du Musée d'Arts Moderne de Paris en 2011)

La luxure d’un fauve

Kees Van Dongen, le demi-mondain
Après des années de purgatoire, le temps de Van Dongen est venu. Il faut dire que sa biographie comporte quelques épisodes mauvais genre, comme sa grande rétrospective à la Galerie Charpentier, en 1942, où l’on vit Mme Otto Abetz, vêtue, à son habitude, sans sobriété. Surtout, il fut du « maudit voyage» en compagnie du sculpteur Despiau, mais aussi de Vlaminck et de Derain, avec lesquels il s’était lié d’amitié, trente ans auparavant, à la fameuse Revue blanche, où l’avait introduit Félix Fénéon (1).  À Berlin, dans l’atelier d’Arno Breker, les trois compères, que les nazis auraient fort bien pu ranger parmi les représentants de l’art « dégénéré », feignirent d’admirer les gigantesques athlètes néo-grecs de ce Michel-Ange pour Reich crapuleux. À la Libération, Van Dongen paya cher ce déplacement déplacé.

Cela dit, Van Dongen ne fut pas seulement un homme comme les autres, mais un artiste unique et novateur. Il est temps d’oublier le premier pour célébrer le second.

Il se disait nul en tout, excepté dans l’art de peindre. D’ailleurs, il préférait parler de vice plutôt que de vocation. Né dans une famille de la petite bourgeoisie, en 1877, à Delfshaven, une bourgade hollandaise située au bord de la Meuse, entre Delft et Rotterdam, sans diplôme ni qualification, il n’aime que Rembrandt. Bien plus tard, se proclamant sans dieu ni maître, il prétendra n’avoir jamais pris de leçon et ne se reconnaîtra qu’un don, celui de la caricature. À la vérité, il s’inscrivit à l’Académie royale de dessin. Étudiant, il traîne dans les quartiers mal famés de Rotterdam où les marins serrent d’un peu près le corps las des dames rompues aux servitudes. Il arrive à Paris, pour la première fois, sans un sou en poche, le 12 juillet 1897. Le 14, il danse dans les rues. Les journées sont ensoleillées, les nuits douces ; il dort sur les « fortifs ».

Son séjour ne devait pas excéder trois jours : il repartira en Hollande un an plus tard. Pour quelques francs, il croque les enfants et leurs mères dans les squares. Aller-retour en Hollande, puis installation définitive à Paris : il s’enivre de cette ville absolue, traîne près des baraques de foire, découvre des formes, des lumières, des êtres insouciants, gais, quoique misérables. Il s’installe dans le « maquis » (c’était alors la campagne) de Montmartre. Au Bateau-lavoir, une bâtisse en planches peuplée de peintres et de clochards, il rencontre Picasso et toute la bohème : « C’est ici que j’ai appris à vivre. » Grand, mince, blond, beau gosse, affamé, il se glisse dans la coulisse du plaisir, se faufile dans les rangs des citoyens interlopes. Il observe, il se souvient, il peint. Il a laissé derrière lui l’austérité protestante de la Hollande pour se jeter dans la fête parisienne : « Van Dongen avait besoin de Paris », écrit André Siegfried.

On le connaît, puis on le reconnaît ; l’époque est favorable aux nouveaux talents. Il entre chez les Bernheim-jeunes : le voilà « lancé ». Peintre de la mondanité, certes, mais son trait audacieux, sa patte insolente rompent avec la tradition du portrait flatteur : « Mes clientes n’étaient pas toujours satisfaites du résultat. » Il peint les belles épouses des hommes riches, les noceurs, les artistes, les clowns, les lutteuses, et même Anatole France, suscitant l’effroi des lecteurs de ce dernier, qui jugent ses traits vieillis et sa silhouette rabougrie attentatoires à la dignité de l’écrivain.

Il peint comme il désire, il peint parce qu’il désire ; ses aplats violents, sa palette primitive font surgir l’énergie sensuelle. Comme saisi par sa fureur fauve, rehaussé de ses éclats expressionnistes, le corps féminin s’offre sans pudeur.

La Parisienne de Van Dongen n’est-elle pas l’héritière de celle de François Boucher qui, sous Louis XV, en imagina le modèle ? De l’une à l’autre, plus d’un siècle d’offrande charnelle, de péché souriant et pardonné, plus d’un siècle de fièvre, de postures aimables, joliment provocantes, de tendres pièges tendus et déjoués, de comédie des sentiments, d’enlacements perdus et toujours recommencés, plus d’un siècle d’exercice du plaisir définitivement français. Innocente des crimes passés, ignorante des crimes à venir, elle confie le soin de son allure, de son rythme, en un mot de sa métamorphose, à la peinture, à la poésie, à la musique. Sous la lumière d’une lampe, elle attend l’amour, en devance les caresses, en mime les contorsions, anticipe ses joies. Elle a le ventre rond, les cuisses pleines, les seins fermes, les yeux fardés de noir intense ; son corps est chargé d’électricité, d’« érotricité ».

La « manière » de Van Dongen se fonde sur l’affolante vigueur de la vie : elle en suggère, dans une vision presque foraine, l’éblouissant scandale.




(1)En novembre 1941, la propagande culturelle allemande organise un « voyage d’études » destiné aux artistes des beaux-arts (il y en eut également pour les comédiens, pour les écrivains). La délégation française compte des noms prestigieux : Paul Landowski pour la musique, Othon Friesz, Charles Despiau, Henri Bouchard, Paul Belmondo pour la sculpture, Kees Van Dongen, Maurice de Vlaminck, André Derain, pour la peinture. Les Français firent halte dans plusieurs villes avant de gagner Berlin, où les attendait Arno Breker, le sculpteur du régime. Il ne s’agissait nullement d’artistes ratés, qui auraient pu voir dans la Collaboration le moyen de gagner une reconnaissance. Au final, ils furent les dupes d’une opération dont ils ne comprirent pas la finalité.



« Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain », Musée d’art moderne de la Ville de Paris,
11, avenue du Président Wilson, Paris 16e. Du vendredi 25 mars au dimanche 17 juillet 2011.


 © Patrick Mandon. Avec son aimable autorisation. Qu'il soit ici chaleureusement remercié.






7 commentaires:

  1. Coqueluche des femmes, les critiques de son époque ne sont pas parvenus à le descendre. Bien fait pour eux ! Son oeuvre ne flamboie-t-elle toujours dans les + grands musées ?

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  2. Texte très fort pour une peinture "au canon" !
    J'aime chez Dongen que les influences aient glissé en lui comme l'eau sur un plumage.
    Il a très vite trouvé sa pâte, formes et couleurs klaxonnantes, dans une veine qu'avec un très juste bonheur d'expression Patrick Mandon nomme "une vision presque foraine".
    Oui, nous y sommes ! Chaque toile est une baraque foraine et c'est bien une Foire à l'Eros, dans ce qu'elle peut souvent avoir de féroce !

    Quant aux graciles et magiques "Baigneuses", elle sont, comme disait ma mamy Gabrielle, tout à fait disposes pour "laisser le chat aller au fromage" !

    Immense merci Nuage ! En attendant le télescopage annoncé ! Miam !




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  3. Quoi ! Des seins nus sur la plage de Deauville en 1920 !
    Mais que faisait M. Eugène Colas le nouveau maire élu en 1919 ? Déjà du macadam sans doute, le bougre !
    Et M. Théodore Steeg le ministre de l'intérieur ?
    Des cocottes en papier, peut-être.


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  4. Et pendant ce temps E.%acron se trouve sur" l'île de Cayenne", va-t-il y chercher une Porsche ?

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  5. Un immense remerciement, Nuage, pour cette évocation des deux rencontres du Maître et de Brigitte.
    C'est drôle, émouvant, percutant, un rien canaille. Du Van Dongen quoi !
    Et le portrait de 1954, qui a effectivement fait le tour du monde, quelle allure !

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