Musset devint libertin par goût, parce qu’il commençait à penser que le libertinage seul ne trompait pas ; il eut beau faire, il eut beau chercher l’oubli dans le poison français, il fut moissonné dans sa jeunesse par le souvenir de la
première femme qu’il avait toujours aimée, de cette grisette devenue infâme et infime courtisane, dont le cœur sec se riait du mal qu’elle causait.
...Une lèvre de feu d’où jaillit la pensée...
Chantez, chantez encor, rêveurs mélancoliques,
Vos doucereux amours et vos beautés mystiques
Qui baissent les deux yeux ;
Des paroles du cœur vantez-nous la puissance,
Et la virginité des robes d’innocence,
Et les premiers aveux.
Ce qu’il me faut à moi, c’est la brutale orgie,
La brune courtisane à la lèvre rougie
Qui se pâme et se tord ;
Qui s’enlace à vos bras dans sa fougueuse ivresse,
Qui laisse ses cheveux se dérouler en tresse,
Vous étreint et vous mord !
C’est une femme ardente autant qu’une Espagnole,
Dont les transports d’amour rendent la tête folle
Et font craquer le lit ;
C’est une passion forte comme une fièvre,
Une lèvre de feu qui s’attache à ma lèvre
Pendant toute une nuit !
C’est une cuisse blanche à la mienne enlacée,
Une lèvre de feu d’où jaillit la pensée ;
Ce sont surtout deux seins
Fruits d’amour arrondis par une main divine,
Qui tous deux à la fois vibrent sur la poitrine,
Qu’on prend à pleines mains !
Eh bien ! venez encor me vanter vos pucelles
Avec leurs regards froids, avec leurs tailles frêles,
Frêles comme un roseau ;
Qui n’osent d’un seul doigt vous toucher, ni rien dire,
Qui n’osent regarder et craignent de sourire,
Ne boivent que de l’eau.
Non ! vous ne valez pas, ô tendre jeune fille
Au teint frais et si pur caché sous la mantille,
Et dans le blanc satin,
Non, dames du grand ton, en tout, tant que vous êtes,
Non ! vous ne valez pas, femmes dites honnêtes
Un amour de catin !
Alfred De Musset
In Gamiani ou deux nuits d’excès
1833
...Et la virginité des robes d’innocence...
"Non ! vous ne valez pas, femmes dites honnêtes
RépondreSupprimerUn amour de catin !"
Même dans les scènes un peu roucoulées de son théâtre, transparait la véhémence, voire comme ici la violence de Musset. Il me semble avoir donné le ton et l'exemple d'une forme de "sincérité d'auteur" promise à de riches développements au 19ème et au 20ème siècles.
La femme fut déclarée par lui, "douze fois impure" me semble-t-il.
RépondreSupprimerLas, le pauvret a tourné ses vers et confessé sa courte vie avec une émotion qui ne laisseront jamais, tant damoiseaux que, pucelles ou catins, de marbre. Il me plaît de le croire.