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Le travail
On répara le tonneau et les Danaïdes furent bien attrapées. Il leur vint d’ailleurs une mauvaise graisse et cela fit peine à voir. Sisyphe n’en revenait pas. Pourvu que mon rocher continue, pensait-il. Ah, ceux qui ont la vocation du travail, ça leur paraît tout drôle quand la besogne est faite.
Une question
La servante aux douces hanches était debout dans la grâce d’exister. Elle ressemblait à une jarre. Oui, ses hanches, son cou, ses cuisses, ressemblaient à une jarre. Et pour la fraicheur et pour les courbes. Ses cheveux étaient un poids d’ombre et d’odeurs, une jeune forêt sans doute, et cachant quels oiseaux ? On rêvait. Par un certain détour on pensait : que peut un homme ?
L’attente
Les années passaient. Auguste ne voyait rien venir. Les saisons allaient leur bonhomme de train, et la main sur les yeux, Auguste l’attentif, guettait leurs longs cortèges. Sable des nuits, vents et marées, jus dans les vignes, Auguste et son attente. Il ne voyait rien venir. Mais au fond, dit Auguste, un soir de canicule, au fond, qu’est-ce que j’attends ?
Le semeur
Il jeta toutes ses graines, sauf la dernière. La terre les recevait dans sa grande lèvre de chaleur et d’humidité. La dernière graine, il la tenait au creux de sa main. La terre ne l’aurait pas tout de suite. C’est si bon, disait-il, de tenir une petite forêt dans le creux de sa main.
Autre chose
L’odeur du buis le fait penser aux poires mûres, cette valse à son amour pour Hélène. La mer, la mer le fait penser à l’infini, ce lac si calme, à la longueur du temps. Le ciel des nuits d’été, ça va de soi, le fait penser à Dieu. Pourquoi les choses font-elles toujours penser à autre chose ?
Les crocodiles
Non, avec une mâchoire comme ça, on n’est pas le frère des petits moutons. Des dents pareilles, ça doit forcément vous donner des idées. J’ai connu un crocodile herbivore. Un jour il mangea un quart d’éléphant et un demi-cornac. Il ne s’en était même pas aperçu. C’était pas lui, c’était ses dents.
Pures délices, pures merveilles. Quelle sagesse.
RépondreSupprimerQuel antidote à ce siècle de furieux.
Sous un habit trompeur, celui d'un langage simple, accessible, parfois enfantin, à l’humour omniprésent, la poésie de Norge a une réelle dimension métaphysique. Poète inclassable, ce grand « Stupéfait » d'exister ne cesse de s'étonner : comment peut-on être un humain ? Ou comme dans le texte "Une question" ci-desuus : "que peut un homme ?"
SupprimerSa poésie allie concret et métaphysique, sensualité et cruauté, vérité et incrédulité, fringales terrestres et soif d'infini. Passionné par la vie dans la diversité de ses formes, il traite aussi bien des étoiles que du lombric ou de la mouche.
Voilà pourquoi nous aimons tant ce grand poète contemporain. Et nous révélerons, une fois n'est pas coutume, notre poème préféré :
Où c’qu’est la ‘tit’ minoiselle
Où c’qu’est la ‘tit’ minoiselle,
La florette des minous,
La mignote si joiselle
Qui florissait parmi nous ?
Et la suite :
Supprimer"Où c'qu'est la zouzelle grive
Dont le chant se perlousait,
Comme rosée à l'endive
Et myrtille à la forêt ?"
"Un monde sans poésie est un monde qui démissionne. A la différence des autres animaux, l'homme n'est pas bien dans sa condition. La condition humaine n'est bien que si on la dépasse : l'homme, qui n'a pas d'ailes, est un infirme. La poésie est le levain de l'homme, sans cela il est plat." Norge.
RépondreSupprimerMerci beaucoup de ce partage enrichissant.
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