lundi 3 décembre 2018

Zbigniew HERBERT. La langue.







La Langue

Sans faire attention, j’ai franchi la frontière de ses dents et j’ai avalé sa langue mouvante. 


Elle vit maintenant en moi comme un petit poisson japonais. 
Elle se frotte contre mon cœur et mon diaphragme, comme contre les parois d’un aquarium. Elle fait monter de la poussière du fond.

Celle, que j’ai privée de sa voix, me fixe avec de grands yeux et attend la parole.

Mais moi, je ne sais pas en quelle langue m’adresser à elle, celle que j’ai volée ou celle qui fond dans la bouche du trop-plein de la lourde bonté.


Zbigniew Herbert

Traduit par Monika Prochniewicz







Note 1 
Le poète polonais Zbigniew Herbert (1924 - 1998) est originaire de Lwow (aujourd'hui en Ukraine). On lui doit dix recueils de poèmes, des pièces de théâtre ou radiophoniques (Pièces, 1970), deux recueils d'essais sur des thèmes aussi divers que Lascaux ou la peinture hollandaise...      
                                        Zbigniew Herbert                                             
Resté fidèle à ses idéaux de soldat de la résistance non communiste, Zbigniew Herbert refuse d'accepter le régime imposé par les Soviétiques en 1945, ce qui lui vaut des débuts retardés puisqu'il ne publie son premier recueil Corde de lumière qu'en 1956. Suivront Hermès, le chien et l'étoile (1957), Étude d'objet (1961), Inscription (1969). Herbert a toujours considéré le communisme comme un totalitarisme aussi nuisible que le nazisme. Le public polonais lui en sait gré, et le poète en reçoit une reconnaissance éclatante quand, déjà célèbre, il met tout son prestige dans la lutte contre le régime du général Jaruzelski et publie à Paris en 1983 son recueil Rapport de la ville assiégée
*    *     *
Note 2 

Prix Herbert 2017 au poète sud-africain Breyten Breytenbach 

Le poète sud-africain et militant antiapartheid Breyten Breytenbach (photo ci-contre) a reçu le prestigieux Prix international littéraire Zbigniew Herbert, du nom du poète et philosophe du « refus » à l'époque communiste. « Je suis heureuse que cette année le jury ait choisi un poète qui associe un grand talent avec l'attitude d'un homme intransigeant ayant été du côté des opprimés », a déclaré Katarzyna Herbert, veuve du poète polonais décédé en 1998, rappelant que pour son mari le talent était aussi important que les questions morales.
Né en 1939 dans la province du Cap, Breytenbach a quitté l'Afrique du Sud pour Paris. Son épouse étant d'origine vietnamienne, il était interdit dans son pays où les mariages mixtes étaient proscrits.
Après être revenu clandestinement dans son pays natal pour s'engager dans la lutte antiapartheid, il a été condamné à neuf ans de prison. C'est grâce au soutien du président Mitterrand qu'il a été libéré en 1982 et a pu revenir en France où il a pris la nationalité française.
Breytenbach écrit en plusieurs langues, également en afrikaans, sa langue maternelle aujourd'hui menacée de disparaître. Il a publié une cinquantaine d'ouvrages, dont Confession véridique d'un terroriste albinos.

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