lundi 21 octobre 2019

Rimbaud. Roman . - On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans / Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade










Adolescent rebelle, poète précoce et génial, Arthur Rimbaud est un phénomène de la littérature. Son abandon de la poésie à l’âge de vingt et un ans, puis sa disparition aux confins de l’Afrique et de l’Asie, ajoutent à l’attrait du personnage qu’il s’est créé et qui obsède l’époque moderne. Véritable « voyant » – suivant le terme qu’il a choisi – il exprime les vertiges de l’hallucination dans une langue audacieuse et pure, et apparaît comme un jalon essentiel entre romantisme et surréalisme.
    




"Roman" est le 12ème poème (sur 15) du 
1er cahier de Douai


Roman

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
- Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
- On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bons dans les bons soirs de juin !
L'air est parfois si doux, qu'on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, - la ville n'est pas loin, -
A des parfums de vigne et des parfums de bière ...

- Voilà qu'on aperçoit un tout petit chiffon
D'azur sombre, encadré d'une petite branche,
Piqué d'une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche ...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête ...
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête ...
Le coeur fou Robinsonne à travers les romans,
- Lorsque, dans la clarté d'un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l'ombre du faux-col effrayant de son père ...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d'un mouvement vif ...
- Sur vos lèvres alors meurent les cavatines ...

Vous êtes amoureux. Loué jusqu'au mois d'août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s'en vont, vous êtes mauvais goût.
- Puis l'adorée, un soir, a daigné vous écrire ... !

- Ce soir-là, ... - vous entrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade ...
- On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu'on a des tilleuls verts sur la promenade




* *


       Rappel de : LE CAHIER DE DOUAI

1er cahier

1- Première soirée
2-Sensation
3-Le forgeron
4-Soleil et chair
5-Ophélie
6-Bal des pendus
7-Le Châtiment de Tartuffe
8-Vénus anadyomène
9-Les réparties de Nina
10-A la musique
11-Les effarés
12-Roman
13-« Morts de Quatre-vingt-douze »
14-Le mal
15-Rages de Césars



Voir aussi, déjà publié (clic-clic)




6 commentaires:

  1. J'ai entendu un jour un très jeune homme, le bras enlacé autour de la barre d'un wagon de métro, dire ce poème, puis saluer et s'en aller sans rien demander. Cela m'a redonné le sourire pour toute la journée.

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  2. Superbe tranche de vie, chère Aukazou. Ce jeune homme ne manque pas de panache...et de culture, je le salue bien bas.

    ps: la difficulté de "capt..etc.." est-elle résolue ?
    -Il n'y a pas de problème qui ne se règle par une absence totale de solution.

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  3. Sans être réglé, cela me semble un peu moins contraignant. Mais ce n'est peut-être qu'une impression, à voir dans le temps ...

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    1. Tenez-moi informé par courriel à contact@nuageneuf.fr. Merci.

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  4. 16- Les effacés
    Le scénario était redouté par les associations d’aide aux migrants. Deux jeunes Irakiens, âgés de 17 et 22 ans, ont été retrouvés sans vie à quelques heures d’intervalles sur une plage du Touquet (Pas-de-Calais), lundi 14 octobre 2019. Deux petites embarcations légères ont également été découvertes à proximité.

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    1. Vous voulez dire "Les effarés" je crois; voici le poème:



      Noirs dans la neige et dans la brume,
      Au grand soupirail qui s'allume,
      Leurs culs en rond

      A genoux, cinq petits,-misère!-
      Regardent le boulanger (1) faire
      Le lourd pain blond... I

      ls voient le fort bras blanc qui tourne
      La pâte grise, et qui l'enfourne
      Dans un trou clair:

      Ils écoutent le bon pain cuire.
      Le boulanger au gras sourire
      Chante (2) un vieil air.

      Ils sont blottis, pas un ne bouge
      Au souffle du soupirail rouge
      Chaud comme un sein.

      Et quand, pendant que minuit sonne,
      Façonné, pétillant et jaune, (3)
      On sort le pain,

      Quand, sous les poutres enfumées
      Chantent les croûtes parfumées
      Et les grillons,

      Quand (4) ce trou chaud souffle la vie;
      Ils ont leur âme si ravie
      Sous leurs haillons,

      Ils se ressentent si bien vivre,
      Les pauvres petits (5) pleins de givre,
      -Qu'ils sont là, tous,

      Collant leurs petits museaux roses
      Au grillage (6), chantant des choses,
      Entre les trous,

      Mais bien bas, -comme une prière...
      Repliés vers cette lumière
      Du ciel rouvert,

      -Si fort, qu'ils crèvent leur culotte
      -Et que leur lange blanc (7) tremblotte
      Au vent d'hiver...


      20 septembre 1870


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