samedi 7 décembre 2019

Angela Merkel à Auschwitz



 «Se souvenir des crimes, nommer leurs auteurs»

Angela Merkel à Auschwitz

La chancelière a visité, vendredi, le camp de concentration où plus d’un million de personnes furent assassinées.





Angela Merkel à son arrivée au camp de concentration d’Auschwitz, vendredi matin. JOHN MACDOUGALL/AFP






À Oswiecim, hier


«La honte.» Ce mot, Angela Merkel l’avait déjà prononcé en 2008 devant la Knesset, le Parlement israélien. La chancelière allemande l’a répété vendredi 6 décembre en visitant pour la première fois le camp de concentration d’Auschwitz, où plus d’un million de personnes, dont 90 % de Juifs, furent assassinées par le régime nazi. La chef du gouvernement allemand a rejoint un petit pupitre installé dans la salle centrale du «Sauna». Là où, il y a 75 ans, les nouveaux déportés du site d’extermination de Birkenau étaient entassés, déshabillés et dévalisés avant leur grand saut dans l’inconnu. Derrière les photos sépia de familles juives encore souriantes, elle a déplié un grand parchemin vert et a d’abord expliqué à ses interlocuteurs - dont des survivants et le premier ministre polonais Mateusz Morawiecki - combien il était «difficile de se tenir debout» devant eux. «Il est important de nommer clairement les criminels. Immer und Immer, Nous, les Allemands, le devons aux victimes , a-t-elle déclaré en rappelant qu’Auschwitz (Oswiecim en polonais), fut administré par le Reich. Cette région polonaise fut annexée en septembre 1939.


Actes antisémites

«Se souvenir des crimes, nommer leurs auteurs et rendre aux victimes un hommage digne, c’est une responsabilité qui ne s’arrête jamais. Ce n’est pas négociable. Et c’est inséparable de notre pays. Être conscient de cette responsabilité est une part de notre identité nationale», a insisté la chancelière au moment où, dans son pays, les actes antisémites sont en progression, l’extrême droite remporte des succès électoraux et où «le racisme monte et la haine se propage».

"La seule voie vers la liberté passe par ces cheminées, il n’y a pas d’autre sortie"
–Un gardien d’Auschwitz, s’adressant à Bogdan Bartnikowski, l’un des trois survivants associés à la commémoration, à l’époque âgé de 15 ans
Devant elle, Bogdan Bartnikowski, l’un des trois survivants associés à la commémoration, a raconté son expérience du «Sauna», alors qu’il avait 12 ans à son arrivée dans le camp de Birkenau, une nuit d’août 1944. «J’étais un enfant, on m’a ordonné de me déshabiller et je me suis retrouvé tout seul, en compagnie de femmes nues. C’était un grand choc. Surpeuplée, la pièce était emplie de sueur, je ne pouvais pas bouger, pas sortir, on était poussés sans arrêt en avant», explique l’homme aujourd’hui âgé de 87 ans. Il se remémore ce gardien nazi croisé à son arrivée qui lui demanda, d’un ton sardonique, s’il souhaitait «voir la liberté».«La seule voie vers la liberté passe par ces cheminées, il n’y a pas d’autre sortie», ajouta le garde en montrant la fumée qui s’échappait du toit des crématoriums. Le garçon attendra janvier 1945 pour être délivré de l’enfer, en compagnie de sa mère.
Angela Merkel a suivi à rebours le parcours qui conduisait les déportés vers le néant. Après son discours, elle s’est recueillie devant le Monument de Birkenau érigé en 1967 et situé à l’extrémité ouest du camp, entre les ruines des crématoriums 2 et 3, soit l’épicentre de la machine de mort. Puis elle s’est rendue à «la rampe», sur laquelle débarquaient les victimes à leur sortie du train, dans le bruit et la fureur. Celles-ci y faisaient l’objet d’une première «sélection», distinguant les déportés directement acheminés vers les chambres à gaz - majoritairement des femmes et des enfants - et les autres.
Plus tôt dans la matinée, la chancelière s’était rendue au camp de concentration historique d’Auschwitz, construit en 1940, deux ans avant le camp d’extermination voisin de Birkenau. Tous deux sont devenus un musée auquel Berlin vient de faire une donation de 60 millions d’euros. Elle a franchi la barrière surmontée de la sinistre inscription «Arbeit macht frei» (le travail rend libre). Elle a visité le bloc 5 où restent entassés les biens dont les victimes furent dépouillées. Aux côtés de son homologue polonais, elle a déposé une gerbe devant le «mur de la mort», où des milliers de victimes furent fusillées. Ces dernières étaient traînées du bloc 11, contigu, dont les sous-sols renfermaient les prisons et les salles de torture destinées aux prisonniers accusés d’avoir enfreint les règlements du camp.


Hors du protocole, Arek Hersh, un autre survivant, a fait le déplacement à Auschwitz vendredi. Juif polonais, il a connu l’enfer d’Auschwitz avant même l’entrée dans ses 18 ans. Il en a aujourd’hui 91. Il vit à Leeds, en Angleterre, salue la visite de la chancelière, mais estime que celle-ci «se produit trop tard»«Angela Merkel dirige pourtant l’Allemagne depuis longtemps et, comme elle, tous les politiciens devraient venir ici et voir cet endroit où tant de meurtres et de tortures ont eu lieu», estime cet homme encore alerte, qui porte sur son avant-bras le matricule B 7608 et témoigne une fois par an devant des collégiens et lycéens allemands, récemment à Buchenwald, dans le sud-est du pays.

Arrivé au camp de Birkenau en 1944, à 16 ans, Arek Hersh doit la vie sauve à un éclair de lucidité qui l’a amené à se frayer un chemin sur la file de droite qui regroupait les hommes en état de travailler. Il profita d’un moment de confusion dans la foule lorsqu’un garde SS tenta de séparer un enfant de sa mère. Dans le camp, il travailla notamment comme jardinier et il utilisa les cendres des crématoires en guise de fertilisants. Il quitta le camp le 18 janvier 1945 en même temps que les nazis, devant l’avancée des troupes soviétiques. Puis se retrouva dans une baraque à Buchenwald, situé au centre-est de l’Allemagne, en compagnie de 3 000 enfants, avant d’être transporté en train à Theresienstadt, dans l’actuelle République tchèque, au bout d’un voyage d’un mois. Seuls 600 d’entre eux arrivèrent à destination. Souffrant de faim et de froid, le jeune homme fut sauvé le 8 mai 1945 par l’Armée rouge. En 1948, il participait à la guerre d’indépendance d’Israël.

Trois quarts de siècle plus tard, le vieil homme observe avec inquiétude la montée de l’antisémitisme en Allemagne, mais aussi en Angleterre. «Je n’aime pas voir ce qui se passe et je suis un peu troublé, mais je ne pense pas que quelque chose comme l’Holocauste puisse de nouveau arriver», dit-il. 
À Auschwitz hier, la chancelière allemande a engagé, une nouvelle fois, sa responsabilité.



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