jeudi 25 février 2021

René de Obaldia. L'Azote (extrait)

 


René de Obaldia

L’Azote 

 

Extrait de la scène IV de L’Azote, pièce en un acte signée René de Obaldia, qui met à mal les clichés de la masculinité et de la féminité à travers deux caricatures : Justine est une midinette aux airs évaporés, et Casimir un soldat taiseux, bourru, aux pieds qui puent…


JUSTINE, se mettant aux pieds de Casimir. — Casi…


CASIMIR, las et égaré. — Oui.


JUSTINE. — Je suis fière de te choisir pour époux.


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE. — Tu es beau. Tu es grand. Tu es généreux. 


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE. — Tous les hommes que je me suis envoyés, je le reconnais maintenant, c’était des foutriquets, des lavettes, des intellectuels. 


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE. — Remarque, je regrette pas. Comme dit Toto : faut être en situation pour savoir. 


CASIMIR. — Oui. (Faiblement.) Le Colonel Grapin dit ça aussi. 


JUSTINE. — C’était encore lui le plus marrant, pas le Colonel, mais Toto. Il voulait toujours que j’amène une copine avec moi, Charlotte, ou bien Zizi. Au moins, le matin, c’était pas toujours moi qui faisais le café… Mais toi, toi, je veux bien te servir, t’apporter des sardines au cresson pour ton  petit déjeuner. Tu aimes les sardines au cresson ?


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE. — Eh bien, je t’en ferai ! Tu seras vachement heureux… Ce qu’il faut, quand on sera mariés, c’est pas sombrer dans l’onanisme. Surtout, l’onanisme à deux. 


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE. — On sortira. On ira à tous les suspense, à tous les by night, tous les snack, à tous les God save the Queen… Et on se payera une Jaguar en nylon.


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE. — Et puis, tu sais, j’empêcherai jamais ta vocation ; tu pourras toujours faire tac tac tac tac quand tu voudras… Tu veux ? 


CASIMIR. — Oui.


JUSTINE, transportée. — Oh ! Casimir, le monde, c’est du cinémascope ! Du cinémascope sur une idée de Marco Polo. 


CASIMIR. — Oui, bien sûr. 


JUSTINE. — Idée de Marco Polo, partagée par le metteur en scène, l’assistant du metteur en scène, l’assistant de l’assistant du metteur en scène, les électriciens, les machinistes, les figurants,  les maquilleurs, les voyeurs, les clignotants, les spectateurs, les téléspectateurs, les contrôleurs des wagons-lits, des contributions… directes. Contributions directes des uns par rapport aux autres, des autres par rapport aux uns : tel qui joue la terreur est retrouvé pieds nus dans l’aurore, joufflu comme un enfant, embrassant à pleine bouche les fils de la Vierge… Tel autre, Don Juan des Monoprix (1) de l’âme, se traîne, lamentable, blessé à mort dans les bas-fonds du stupre, et de sa blessure naissent des monstres d’occasion… Oh ! Casimir, il y a plus de choses cachées dans le cinémascope qu’il y a de nymphes dans le Colorado… Non ? 


CASIMIR. — Non. Oui. 


JUSTINE. — Entends-tu Casimir, les tambours prénuptiaux de nos tropiques intimes ?… Sens-tu l’haleine des moutons qui frémit dans le bêlement de notre devenir ?


CASIMIR. — Ça sent une drôle d’odeur ici…


JUSTINE, dans un grand cri. — Ce sont tes pieds ! 


CASIMIR, se levant, l’oeil glauque, et avançant comme un somnambule vers Justine. — J’en ai allongé quelques-uns dans les marais pour beaucoup mois… Toucher aux pieds de l’armée, c’est toucher à sa tête, et toucher à sa tête, c’est toucher à son cœur, et toucher à son coeur… Ecossaise ! Sale petite Ecossaise !


JUSTINE, reculant. — Casimir !


CASIMIR. — Tiens-tu vraiment à ce qu’on te passe à la friture d’électrodes ? à ce qu’on te branche un sein sur l’horloge parlante ? 


JUSTINE. — Casimir, je t’appartiens, je ferai tout ce que tu veux… Je suis ta chose… ton foyer militaire…


CASIMIR. — Veux-tu qu’on te nettoie à la grenade lacrymogène ?


JUSTINE, avalant sa salive. — Oui, Casimir, si tu y tiens. 


CASIMIR. — Veux-tu que je te fasse livrer une baignoire à domicile ?


JUSTINE. — Ah ! tu vois, tu penses déjà à notre ménage !


CASIMIR, de plus en plus sinistre. — Ou préfères-tu que les Sénégalais te passent dessus en jouant Le Pont de la Rivière Kwaï ?


JUSTINE. — Oh oui !


CASIMIR. — Ecossaise !


JUSTINE. — Casi…


Ils sont acculés au lit. Brusquement, Casimir embrasse Justine sur la bouche, puis la renverse sur le lit. Scène de bataille amoureuse. 


(1) « Uniprix » dans le texte d’origine. 


Scène pour un jeune homme et une jeune femme extraite de L’Azote de René de Obaldia, in Théâtre Complet, Grasset & Fasquelle, 2011. 




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