La constellation Rimbaud
de Jean Rouaud: mystère Rimbaud et Cie
Portrait érudit du poète à travers les personnes qui l’ont connu et les lieux qu’il a traversés.
Qu’ajouter à un portrait dont le moindre point, le plus petit trait, a déjà fait l’objet de mille thèses et de multiples biographies de référence? S’attaquer à Rimbaud, c’est tenter l’Everest. Sur le plan littéraire, en tout cas, rien n’a jamais fait peur à Jean Rouaud. Il désire parler du plus célèbre poète français? Alors, il embrasse son sujet à bras-le-corps. Seuls la passion et le plaisir le guident. Et il a quelque chose à dire, aussi.
Les moyens, d’abord. L’auteur des Champs d’honneur, Goncourt 1990, attaque l’Everest par «l’environnement»: il aborde son personnage à travers toute la «constellation» Rimbaud. Sa famille, en premier lieu, et pas seulement la mère et la sœur omniprésentes, Vitalie et Isabelle ; il y a Frédéric Rimbaud, aussi, le père - «c’est le grand absent, l’ombre portée sur la vie errante du fils» -, qui fait cinq enfants puis disparaît sans jamais donner de nouvelles ; puis les hommes et les femmes qui l’ont croisé, les rencontres éphémères et celles qui l’ont marqué… Ce faisant, Rouaud élève un extraordinaire arbre généalogique du génie.
L’autre moyen de portraiturer le poète est de décrire les lieux où il s’est posé, plus ou moins longtemps. Du Charleville natal à Marseille, où il meurt, en passant par Paris (incarcéré à 15 ans pour avoir voyagé sans billet), Dole, Londres, Douai, Bruxelles, Harar, Aden, Issoudun, etc. Classique mais efficace. On sait à quel point cela a été primordial dans la vie du jeune artiste, rarement décor a autant pesé.
C’est peu dire que Jean Rouaud brosse le portrait érudit, fin et savoureux du poète. La réussite de ce tableau - qui peut s’apprécier par des connaisseurs comme par les admirateurs - est que Rimbaud se montre un peu plus proche de nous tout en restant auréolé du mystère qui entoure la brièveté de sa vie artistique, et de sa vie tout court. Une étoile filante qu’on a cru saisir un instant. Tout le long de son texte, Jean Rouaud s’interroge: est-ce Rimbaud qui a quitté la poésie (pour le trafic d’armes) ou ne serait-ce pas plutôt la poésie qui l’aurait quitté? Poser la question, c’est y répondre un peu.
Pièces à conviction
On a tellement reproché à celui qui a révolutionné l’art poétique d’être parti pour faire des affaires que Jean Rouaud ne peut que le trouver sympathique et enfiler une robe d’avocat. On l’imagine bien plaider la cause de Rimbaud devant un tribunal populaire.
Il lance, comme s’il était devant un juge: «Voilà plus d’un siècle qu’on lui reproche sur tous les tons d’avoir à 20 ans abandonné la poésie. Or personne ne s’est demandé si ce n’est pas plutôt elle, la poésie, qui s’était dérobée sous ses “semelles de vent”, devenue obsolète, désuète», et de convoquer les témoins Charles Cros, Théodore de Banville, Germain Nouveau… On comprend que le voyage est une autre forme de poésie. On suit avec ferveur l’avocat Rouaud, auteur d’un cycle de cinq titres baptisé La Vie poétique, et cette Constellation Rimbaud rassemble de magnifiques pièces à conviction.
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