samedi 18 décembre 2021

Alain Finkielkraut

 

Alain Finkielkraut

 

«Le iel nous est-il tombé sur la tête ?»

À côté de il et de elle, une troisième troisième personne – iel – a fait sans préavis son apparition dans notre univers lexical. Ce pronom inopiné n'est pas, tel un aérolite, tombé du ciel ou chu d'un désastre obscur. Aberrante à première vue, sa soudaine présence parmi nous remplit une fonction politique précise. L'avant-garde inclusive qui veut en codifier l'usage croit dur comme fer que l'heure est enfin venue de libérer l'humanité de la condition humaine. Rien de moins.

Sans avoir été consultés, masculin pluriel, nous naissons homme ou femme. Pas homme ou femme, ou sirène, ou centaure : homme ou femme. Impossible d'aller au-delà de deux. Impossible d'échapper à la différence des sexes, à nous de faire avec.

Sur ce qui, depuis des temps immémoriaux et sous toutes les latitudes passait pour indisponible, le « je veux » entend régner sans partage.

Alain Finkielkraut

Mais voici que la notion de genre et la déconstruction patiente des dynamiques historiques, qui ont façonné au cours de siècles les diverses versions du masculin et du féminin, font naître l'espoir d'un monde entièrement reconstruit. La nature n'a plus voix au chapitre, le donné est congédié, des assignations biologiques sont déclarées nulles et non avenues. Sur ce qui, depuis des temps immémoriaux et sous toutes les latitudes passait pour indisponible, le « je veux » entend régner sans partage.

Fin de la fatalité et de la part non choisie de l'existence. Homme, femme, ou non-binaire : chacun doit pouvoir décider de soi, souverainement, sans avoir à en référer à l'origine. Et l'on demande maintenant à la langue d'homologuer ce grand soir de l'Émancipation subjective.

Mais on aura beau dire et mettre un bonnet arc-en-ciel aux vieux dictionnaires : l'être humain ne pourra jamais multiplier les sexes à sa guise, ni devenir, par la magie du verbe, son propre créateur.

Alain Finkielkraut

Mais on aura beau dire et mettre un bonnet arc-en-ciel aux vieux dictionnaires : l'être humain ne pourra jamais multiplier les sexes à sa guise, ni devenir, par la magie du verbe, son propre créateur. Il faut donc opposer à cette innovation militante une ferme fin de non-recevoir. On n'entre pas dans la grammaire comme dans un magasin, la langue n'est pas là pour satisfaire, en remplaçant l'être par le ressenti, le fantasme de toute puissance.

 

 

Alain Finkielkraut, de l'Académie française. 

 

 

 

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